Pour mesurer le machisme qui sévissait dans les années 50, il faut aller aux Bastions à Genève voir l’exposition des affiches concernant le droit de vote que les mâles genevois ont bien voulu accorder à leurs concitoyennes le 6 mars 1960*. Après 4 tentatives infructueuses, en 1921, 1940, 1946, et même en 1953, alors qu’une consultation des Genevoises, organisée en 1952 à l’initiative de Léon Nicole, avait montré que 85% d’entre elles souhaitaient obtenir le droit de vote! Certaines affiches sont de véritables camouflets: «Pas de bisbilles politiques dans les foyers»; «La femme ne doit pas être la proie des partis!»; Ne nous divisez pas!»; «Pourquoi vouloir être plus féministes que les femmes? Nous sommes la majorité à ne pas réclamer le droit de vote!» avec, chaque fois, l’impératif «Votez NON». Le pire, c’est quand des femmes attaquent d’autres femmes. Heureusement, il y avait aussi des affiches qui prônaient le OUI. Cela semble aujourd’hui aberrant qu’il ait fallu tant de temps pour que les Suissesses deviennent des citoyennes à part entière. Lors de la conférence de presse de jeudi 27 février, Nathalie Fontanet, dont le Département comprend le Bureau de l’égalité, rappelait que les femmes ont dû attendre 1988 pour avoir le droit d’ouvrir un compte sans l’autorisation de leur mari!
En 1952, ma mère avait 34 ans. A la fois intimidée et excitée, elle était allée glisser un oui dans l’urne, avec l’appui de mon père. Elle avait 42 ans en 1960, et 53 en 1971, quand elle put enfin voter sur le plan national. Nous dûmes attendre encore plus longtemps pour l’avortement légalisé (2002) et pour une assurance maternité (2004), qui figurait dans la Constitution depuis 1948!
En 1971, la Suisse était le dernier pays européen à accorder le droit de vote aux femmes, avec le Liechtenstein (1984). Il y eut encore plus rétrogrades: le Qatar 1999, Oman 2003, le Koweït 2005, les Emirats arabes unis 2006 et le Bhoutan 2008. «Elles ont toutes le droit de vote, qu’est-ce qu’elles veulent encore?» demandent certains.
Ce que nous demandons
L’égalité salariale, réalisée à ce jour dans aucun pays, le partage des tâches, un nombre suffisant de crèches, un congé parental d’au moins une année, une lutte efficace contre le harcèlement sexuel, les violences physiques ou morales et contre les féminicides. Dans un certain nombre de pays, il faudrait interdire les mariages forcés, l’excision, qui sont d’autres formes de violence. Il faudrait partout dans le monde légaliser l’avortement et une éducation sexuelle digne de ce nom, accorder aux femmes le droit de se déplacer, de s’habiller et de vivre à leur guise.
30% des femmes subissent des violences, qui sont trop souvent tues. Selon Daisy Schmitt, chargée du bureau des droits des femmes de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), «la situation tend à se dégrader. On assiste à un recul des droits des femmes dans le monde quelle que soit la zone géographique ou la classe sociale.»
Pour le HCDH (Haut-commissariat des droits humains), la persistance des abus est avant tout due à un problème de volonté politique. Malgré des avancées législatives, les Etats peinent à mettre en place les lois ou à les faire respecter. Par exemple, l’excision est interdite en Egypte depuis 2008, or la pratique est encore répandue: 80% des femmes sont excisées. Et quand les religions prennent le pas sur le droit, les femmes sont en danger.
L’éducation avant tout
Les organismes de défense des droits humains préconisent le recours à l’éducation, et particulièrement des garçons et des hommes, pour endiguer les atteintes contre les femmes. Pour le HCDH, il faut sortir de l’idée,
erronée, que si les femmes gagnent en droit, les hommes y perdent, et inclure la gent masculine dans le travail pour faire évoluer les mentalités. Jacqueline Deloffre, responsable de la commission des femmes à Amnesty International (AI), estime que la transmission de ces valeurs d’équité doit être assurée par l’école, pour obtenir une légitimité institutionnelle. Dans le monde, 130 millions de jeunes filles ne sont toujours pas scolarisées, la grande majorité d’entre elles vivent en Afghanistan, ainsi que dans neuf pays d’Afrique, pratiquement tous au Sahel. Celles qui se marient avant l’âge de 18 ans sont originaires de ces mêmes pays, ce qui crée un lien direct entre patriarcat, analphabétisme et sous-développement. 214 millions de femmes dans le monde en âge de procréer n’ont pas accès à la contraception. En Asie ou dans les Caraïbes, le nombre de femmes utilisant un moyen contraceptif moderne pour réguler les naissances est resté quasiment le même ces dix dernières années.
L’Europe reste aujourd’hui un des rares espaces de progression de ces droits, que ce soit dans le domaine du travail, de l’accès à l’éducation et au planning familial. Même s’il reste beaucoup à faire: les salaires des femmes restent, par exemple, inférieurs de 16%, en moyenne, par rapport à ceux des hommes. Il n’y a également qu’une femme pour trois hommes dans les conseils d’administration des entreprises. Au fur et à mesure que certaines nations progressent, d’autres régressent: la Pologne, la Slovaquie ou Malte par exemple.
«Il n’y a pas eu de grandes avancées, notamment sur le plan de l’égalité salariale, depuis la grève du 14 juin», regrette Anne Michel, du Syndicat des services publics (SSP). Alors que l’élévation de l’âge de la retraite des femmes est de nouveau au programme du plan AVS 21, qu’un référendum combat le congé paternité de deux semaines et que l’éventualité de travailler jusqu’à 67 heures hebdomadaires refait surface au niveau fédéral, le collectif appelle à «ne rien lâcher!» Marlene Carvalhosa Barbosa, représentante du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), précise: «Le travail domestique, éducatif et de soins, qu’il soit professionnel ou non rémunéré, reste trop souvent invisibilisé.» Le Covid-19 ne nous fera pas taire. Il faudra consulter les informations qui vont paraître dans les médias pour celles et ceux qui souhaitent participer à la Journée du 8 mars. Vivent les femmes!
*Organisée par la Ville de Genève, en collaboration avec le Bureau de l’égalité du Canton et la Bibliothèque de Genève