Il était risqué et courageux de se lancer dans le premier film de fiction sur Charles de Gaulle. Le réalisateur Gabriel Le Bomin, précédemment auteur de documentaires, notamment sur la Résistance, a relevé le défi. Et le résultat est réussi. Sur le plan strictement cinématographique, les acteurs sont convaincants. Plus le film avance, plus on reconnaît en Lambert Wilson le Général, alors que la ressemblance n’était pas a priori immédiate. Isabelle Carré est émouvante dans le rôle de son épouse Yvonne.
L’interprétation des autres personnages historiques – Paul Reynaud, le maréchal Pétain, le général Weygand ou encore le premier ministre Winston Churchill – est tout aussi crédible. On est à la jonction de l’histoire personnelle et privée d’un couple et de la Grande Histoire. Le De Gaulle qui nous est présenté ici (sur la base de nombreux témoignages fiables) se montre humain et capable de tendresse, tant envers son épouse qu’envers Anne, sa fille trisomique. L’opus revalorise aussi la personnalité d’Yvonne de Gaulle, qui a été souvent moquée, voire caricaturée comme prototype de la bourgeoise catholique réduite au rôle de ménagère dévote. C’est une femme courageuse qui apparaît dans le film, notamment dans la scène qui la montre avec ses enfants à bord d’un bateau navigant de Brest vers l’Angleterre, alors que les avions de la Luftwaffe coulent d’autres navires.
Lutte d’influence entre défaitistes et partisans de la résistance
Mais l’intérêt principal du film est bien sûr historique. En 1940, De Gaulle a cinquante ans. Il a derrière lui plusieurs ouvrages militaires, dont De l’armée de métier, qui prône la guerre moderne par le couplage avions et chars, rompant ainsi avec la stratégie purement défensive dont la Ligne Maginot est emblématique. L’action du film, qui ne s’étend que sur quelques semaines, commence en mai 1940. Le colonel de Gaulle, à la tête de la 4e division cuirassée, vient de réussir deux brillantes contre-attaques face à la Wehrmacht, à Montcornet puis Abbeville, dont le résultat positif sera annihilé par un Etat-Major complètement dépassé par le caractère de la guerre moderne mécanique.
Promu général de brigade à titre provisoire, Charles de Gaulle est appelé par le président du Conseil Paul Reynaud au gouvernement, qui a déserté Paris et tente de diriger la France envahie depuis Bordeaux. Les meilleures scènes du film sont peut être celles qui présentent les discussions houleuses entre d’une part le vieux maréchal Pétain et le généralissime Weygand, partisans de la cessation des combats et d’un armistice avec l’Allemagne (plutôt que d’une capitulation qui jetterait l’opprobre sur la caste militaire…), d’autre part de Gaulle et le «juif» Georges Mandel, qui veulent continuer la lutte, aux côtés de la Grande-Bretagne et en s’appuyant sur les territoires et les forces de l’Empire français. Ces débats sont arbitrés par un Paul Reynaud velléitaire et qui, en partie sous l’emprise de sa maîtresse Hélène de Portes, donne l’impression d’être une girouette. Pétain, qui va le remplacer, ne cache pas par ailleurs son intention de liquider la République, la «gueuse» haïe, et d’établir une «France nouvelle», dont on sait qu’elle sera celle de la Collaboration.
La dernière partie du film se déroule à Londres, où de Gaulle, petit général inconnu et solitaire, peu crédible aux yeux de Churchill, vit les humiliations initiales de la France Libre. Il s’achève sur l’Appel du 18 Juin, qui restera dans l’Histoire comme le grand texte inspiré et visionnaire de la Résistance française.
Le film de Gabriel Le Bomin constitue donc à la fois un bon rappel des événements historiques et une approche sensible d’un de Gaulle intime et aimant.
De Gaulle, film de Gabriel Le Bomin, France 2020, 1 h. 48 m.