Pour une «petite» institution muséale, cette exposition est d’une grande richesse. Intitulée Paris en fête et conçue de façon thématique, elle couvre une période allant de la fin du XIXe siècle aux années 1960, l’accent étant mis sur les Années folles et la Belle Epoque de l’entre-deux-guerres. Comme on le verra, un certain nombre d’œuvres sortent cependant de ce cadre.
Paris a connu des bouleversements urbanistiques dus au baron Haussmann et de nombreuses innovations techniques, dont l’usage de l’électricité et la tour Eiffel. Quant au «gai Paris» des spectacles, des cabarets et des salons mondains, il concerne surtout la bourgeoisie et le milieu des artistes. La première salle du musée présente une riche collection d’affiches, réalisées pour la plupart par Henri de Toulouse-Lautrec, mais aussi par Félix Vallotton et Alexandre Steinlen. Elles mettent en valeur les spectacles, à Montmartre et Pigalle, des cabarets Le Divan japonais et le Chat Noir, d’Aristide Bruant, Jane Avril ou encore La Goulue. Puis sont exposées vingt-deux remarquables lithographies tirées de l’album Le café-concert (1893), où à nouveau Toulouse-Lautrec apparaît comme le maître du genre. Quant au «Paris chic» de la haute bourgeoisie, qui fréquente les courses de chevaux, les bals et les salons, il est notamment représenté par de belles aquarelles de Raoul Dufy, qui occupe une place majeure dans cette exposition, et de Kees van Dongen, peintre des mondanités.
Un hymne à l’électricité, à la science et au progrès
Particulièrement intéressant – même s’il échappe à la thématique du «Paris en fête» – l’espace dévolu aux toiles de Dufy intitulées La Fée Electricité. Elles aboutiront à l’immense tableau (le plus grand du monde avec ses 600 m2) qui sera exposé dans le cadre de l’Exposition universelle de 1937. Cette série montre l’évolution des sources d’énergie, de la foudre de Zeus à la machine à vapeur puis aux centrales électriques, et rend hommage aux dizaines de savants qui, à travers l’histoire humaine, y ont contribué. On reconnaîtra donc, entre autres, Aristote, Pascal, Newton, Gramme, Hertz, Faraday, ou encore Watt…
Puis on revient au thème principal de l’exposition dans la section «Les élégantes», qui présente en peinture les mêmes lieux et personnages que ceux fréquentés par Marcel Proust. On retrouvera d’ailleurs cette proximité au second étage, avec les illustrations de van Dongen pour une édition de luxe de la Recherche du temps perdu. Celles et ceux qui ont lu ce monumental ouvrage y reconnaîtront le poète Elstir, le salon Verdurin, le baron de Charlus ou l’hôtel de Guermantes…
Raoul Dufy est à nouveau à l’honneur dans la salle consacrée à ses rapports étroits avec la musique, notamment pendant l’Occupation. Réfugié au sud de la France, il y rencontre Pablo Casals, qui a fui le franquisme. Au cœur de la période la plus sombre de l’histoire de France, Dufy exprime par ses toiles, dévolues aux musiciens et aux orchestres, un idéal de paix et de sérénité au travers de l’art.
Le monde de la grande bourgeoisie était aussi celui des villégiatures, notamment dans des stations thermales et balnéaires. On appréciera à ce propos deux toiles de Dufy représentant Le Havre et Nice, dans des styles très différents. Le même artiste, décidément quasi omnniprésent dans l’exposition, a aussi illustré les poèmes d’Apollinaire par de remarquables gravures sur bois.
A vrai dire, on ne saisit pas très bien pourquoi le parcours s’achève sur le célèbre poème de Paul Eluard, Liberté, dit sur un ton très incantatoire par le poète luimême. Là, en 1942, en pleine période de l’Occupation, on est bien loin du «Paris en fête»! Les concepteurs de l’exposition ont-ils voulu montrer qu’à côté du «gai Paris», il y avait aussi celui – totalement occulté dans les œuvres présentées – de la Grande Guerre, de la crise économique des années trente et de la Seconde Guerre mondiale? Ou bien souhaitaient-ils indiquer qu’à côté d’artistes qui, tels van Dongen, se compromirent avec l’occupant, il y en eut d’autres qui incarnèrent l’esprit de la Résistance?…
«Paris en fête. Toulouse-Lautrec, Matisse, Dufy», Musée d’art de Pully, jusqu’au 10 mai