Crypto AG, comme un air de déjà-vu

Il faut le dire • La Suisse était-elle au courant de ces pratiques et ses services secrets ont-ils pu bénéficier d’informations de première main de la part de Crypto AG?

Profitant de «portes dérobées» au sein du système de cryptage de communication de la société privée Crypto AG basée à Zoug, la CIA étasunienne et la BND allemande ont pu avoir accès à des informations confidentielles de plus de cent pays à partir de 1945 jusqu’en 2018 pour les Etats-Unis, l’Allemagne ayant quitté le bateau en 1993.

Cette affaire a été révélée cette semaine par le Washington Post, la ZDF allemande et la Runschau alémanique, mais en 1992, des bruits avaient déjà circulé suite à l’arrestation à Téhéran par l’armée iranienne d’un employé de la firme, Hans Bühler, accusé d’espionnage. Revenu en Suisse, celui-ci avait fait part de ses doutes sur l’étanchéité du système de cryptage, mais un tribunal de district de Zurich lui avait interdit de faire des déclarations. Un accord à l’amiable avait alors été signé avec son employeur, qui l’avait licencié à son retour de Perse.

La Suisse était-elle au courant de ces pratiques et ses services secrets ont-ils pu bénéficier d’informations de première main de la part de Crypto AG? Pour désamorcer les soupçons, le Conseil fédéral a décidé de confier une mission d’enquête à l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer, qui s’était fait connaître pour son travail sur le scandale des fiches en 1989. Pour le président du groupe écologiste aux Chambres, Balthasar Glättli, il faudrait aller plus loin et mettre en place une commission d’enquête parlementaire. Un minimum.

Sur le fond, l’affaire Crypto SA résonne comme un air connu. En 2013, l’ancien employé de la CIA, Edward Snowden démontrait implacablement comment la NSA menait, à l’ère électronique, une surveillance mondiale d’internet, mais aussi des téléphones portables. Par la suite, il a alerté sur les dérives liberticides des géants du web – les fameuses Gafa, qui oeuvrent de concert avec les gouvernements, tout en vendant leurs données à d’autres entreprises privées. Aujourd’hui, cette suprématie du renseignement américain est menacée par les Chinois, d’où la guerre de Trump contre les services de Huawei sur les technologies de la 5e génération.

L’espionnage des Etats et des individus pour des raisons de sécurité nationale ou celle des entreprises pour traquer des secrets d’innovation industrielle a toujours existé et continuera. Aujourd’hui elle s’est élargie à la surveillance de simples particuliers en des proportions totalitaires dans ce monde «orwellien» d’hyper-connectivité. De nouveaux garde-fous doivent vite être inventés et imposés à toutes les «grandes oreilles».