Le consentement

La chronique féministe • Le procès de Harvey Weinstein pour agression sexuelle, qui doit durer six semaines, s’est ouvert lundi 6 janvier devant un tribunal de New York.

Le procès de Harvey Weinstein pour agression sexuelle, qui doit durer six semaines, s’est ouvert lundi 6 janvier devant un tribunal de New York.

Depuis les premières révélations du New York Times, début octobre 2017, plus de 80 femmes, dont des célébrités comme Angelina Jolie ou Léa Seydoux, ont accusé l’ex-magnat hollywoodien, un faiseur d’Oscars longtemps vénéré, de les avoir harcelées ou agressées sexuellement. Mais le procès ne concerne directement que deux d’entre elles, ce qui montre la difficulté de construire un dossier pénal sans preuve matérielle et sans témoin, autour de faits remontant souvent à plusieurs années.

Harvey Weinstein nie les faits (comme les violeurs le font presque tous) et prétend que les relations étaient consenties. Le procès de Tariq Ramadan n’est toujours pas fixé…

Dans le cas de Gabriel Matzneff, le prédateur ne nie pas les faits, au contraire, il les exhibe fièrement dans plusieurs de ses livres, depuis 1972, bénéficiant de la complaisance du milieu littéraire, notamment de Bernard Pivot, qui l’a invité à plusieurs reprises dans son émission. Une 6e fois le 2 mars 1990, pour un nouveau volume de son journal, intitulé Mes amours décomposés, en compagnie de cinq autres écrivains, dont la Canadienne Denise Bombardier. Au cours de l’émission, cette dernière, choquée par son livre, prend vigoureusement à partie l’auteur :«Moi, M. Matzneff me semble pitoyable. […] On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un monsieur qui a une certaine aura littéraire.» Elle conclut : «Je ne comprends pas qu’on puisse publier des choses comme ça. […] Et si M. Matzneff était un employé anonyme de n’importe quelle société, je crois qu’il aurait des comptes à rendre à la justice de ce pays.»

Trente ans plus tard, Denise Bombardier dit avoir gardé en mémoire la pluie d’insultes et de chroniques d’opinion qui ont déferlé à son sujet dans les jours et les années qui suivirent la diffusion de l’émission. «J’ai été traitée de mal baisée partout. On m’a dit de retourner à ma banquise.»

Les écrits autobiographiques de Matzneff ne cachent rien de ses penchants. Il choisissait ses jeunes proies (un de ses livres s’intitule Les moins de seize ans) dans les piscines, à la sortie des écoles, il en mettait plusieurs à la fois dans son lit, « jusqu’à quatre gamins  âgés de 8 à 14 ans –  en même temps, et de [s]e livrer avec eux aux ébats les plus exquis, tandis qu’à la porte d’autres gosses, impatients de se joindre à [eux] ou de prendre la place de leurs camarades, font «toc-toc» (Un galop d’enfer, journal de Gabriel Matzneff sur ses années 1977-1978, publié en 1985).

Il se rendait régulièrement aux Philippines, où il louait les services de garçons d’une dizaine d’années. L’écrivain pédophile était admiré, honoré par plusieurs prix, soutenu par l’intelligentsia (Sartre, Beauvoir, Sollers, Foucault, Barthes, même Françoise Dolto…), bénéficiant de bourses et de la mise à disposition d’un appartement.

On peut associer l’écrivain au photographe David Hamilton et son «flou artistique», reconnaissable dès la fin des années 60, qui entourait les très jeunes filles (moins de 16 ans) qu’il faisait poser, avec l’assentiment des mères, d’ailleurs. Les livres des deux individus s’étalaient dans les vitrines des librairies. On est sidéré de constater que le monde littéraire de l’époque soutenait les pédophiles mais vilipendait et insultait les personnes qui s’en insurgeaient, comme la courageuse Denise Bombardier.

Dans ce contexte, il est évident que les victimes étaient condamnées au silence. Il faut dire que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE) ne date que du 20 novembre 1989, et que le viol conjugal n’est reconnu que depuis une jurisprudence de 1990.

Pour se défendre, les prédateurs sexuels prétendent que la victime était «consentante». Un nouvel éclairage nous est donné dans Le Consentement de Vanessa Springora, Grasset 2019. L’éditrice, âgée aujourd’hui de 47 ans, raconte comment elle a été séduite par Gabriel Matzneff à l’âge de 13 ans, la relation sous emprise qu’elle a eue ensuite avec lui et les blessures que cela lui a laissés.

La justice a (enfin!) ouvert une enquête préliminaire pour viols sur mineurs de moins de 15 ans à l’encontre de l’écrivain au lendemain de la parution du livre.  Le consentement, c’est la base de toute relation sexuelle. On ne peut pas considérer qu’une gamine soit consentante quand elle est séduite par un adulte, parfois bien plus âgé qu’elle. Encore moins quand l’adulte en question est célèbre. Il s’agit d’un abus de pouvoir par des hommes qui profitent de la société androcentrique, machiste, sexiste, misogyne et totalement injuste dans laquelle nous vivons. Où les lois ont été faites par et pour les hommes, où les femmes sont traitées comme des objets à la disposition de leurs fantasmes, même les plus abjects.

La violence exercée par des prédateurs, des plus célèbres (DSK, Weinstein, Epstein, Matzneff, Hamilton) aux plus humbles (le petit patron d’usine qui pince les fesses des ouvrières, l’ami ou le mari qui impose une relation) relève du système patriarcal. Souvenons-nous des réactions de quelques hommes en vue lors de l’arrestation de DSK: Jack Lang disant qu’il n’y a pas mort d’homme, Jean-François Kahn minimisant l’affaire en parlant de «troussage de domestique», un droit de cuissage, en quelque sorte, sans un mot d’empathie pour Nafissatou Diallo.

On demande souvent aux victimes de violeurs, de prêtres pédophiles, pourquoi elles n’ont pas parlé avant. En France, chaque année, plus de 86’000 femmes sont victimes de viol ou d’une tentative de viol, près de 80% des agresseurs sont des proches. Seulement 13% des victimes portent plainte et 1% des plaintes conduisent à une condamnation.

En novembre 2019, Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’«attouchements» et de «harcèlement sexuel», quand elle était âgée entre 12 et 15 ans, mais elle refuse, dans un premier temps, de porter plainte. “Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer, soit dans la façon dont on va récupérer leur plainte, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et porter le regard sur elles. La faute, c’est elles”.

Les mots d’Adèle Haenel dénoncent un monde sclérosé par un déni de justice dans lequel la vie des femmes compte peu. Et par une culture universelle du viol – consciente ou non – qui banalise les actes des violeurs et culpabilise les victimes. Grâce à #MeToo, les choses sont en train de bouger, la honte a changé de camp. Il était temps !