Un feel-good movie qui donne de l’espoir

Cinéma • En lice aux Oscars 2019, «Greenbook» de Peter Farrelly a de quoi réjouir les amateurs de salles obscures.

Viggo Mortensen et Mahershala Ali incarnent Tony Vallelonga et Don Shirley dans «Greenbook». (Ascot Elite)

Face à la gangrène politique et morale et au véritable danger incarnés par Donald Trump, le ghotta de l’industrie du cinéma étasunien ferait un geste salutaire en récompensant ce film aux Oscars 2019. Il livrerait ainsi au public américain et aux cinéphiles du monde entier un message d’espoir bienvenu.

Le film possède quelques-uns des attributs majeurs de la production à gros budget des studios: une place importante conférée à une intrigue rondement menée, des dialogues marqués par des oppositions souvent binaires, le rythme rapide du montage et l’esthétique léchée des plans (en particulier une iconographie vintage prisée d’autres réalisations récentes du même genre). Cependant, outre la magistrale performance d’acteurs (Viggo Mortensen et Ali Mahershala sont tous deux excellents), le film se distingue des productions hollywoodiennes habituelles par l’importance de son propos, la justesse de son ton ainsi que sa finesse sociologique et psychologique.

Mortensen incarne Tony Vallelonga, un videur d’une boîte de nuit de New York d’origine italienne ayant pour mission de servir de chauffeur, garde du corps et homme à tout faire à un pianiste afro-américain réputé. Ce dernier effectue une tournée dans le Sud ultra-conservateur et réactionnaire. Nous sommes en 1962 quelques mois avant la grande marche sur Washington emmenée par le mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Les infâmes lois Jim Craw de ségrégation raciale n’ont pas encore été abrogées. Vallelonga conduit et escorte son client en suivant l’itinéraire proposé par le Greenbook, un guide des hôtels et restaurants dans lesquels les Noirs sont autorisés à séjourner.

Le symbole d’une amitié

L’attrait d’un tel récit et le succès qu’il remporte auprès de la critique internationale s’expliquent notamment par le fait que les personnages mis en scène ont réellement existé. Le producteur et co-scénariste du film Nick Vallelonga est le fils de Tony Vallelonga. Le père est devenu businessman, puis sur le tard acteur. Il a joué dans Goodfellas et la série The Sopranos. Et il a réellement bien connu Don Shirley, un prodige du piano dont l’oeuvre et la personnalité ont récemment été redécouvertes. A l’instar de Nina Simone et d’autres musiciens partageant avec lui le stigma de leur couleur de peau, ce dernier a dû renoncer à une carrière de concertiste pour exceller dans des performances mêlant le jazz et d’autres traditions musicales.

Quelle que soit l’authenticité des faits évoqués dans le film (l’entourage familial de Don Shirley les ayant remis en cause), un lien a réellement existé entre les deux hommes. Ce simple fait nourrit la fascination que cette relation, à la croisée entre fiction et réalité, peut exercer. Car tout, a priori, dans l’imaginaire collectif, oppose les deux hommes. La hiérarchie sociale attendue devrait conférer au blanc un statut économique et un niveau culturel supérieurs. Or, les personnages du film contredisent ces stéréotypes d’une manière très inhabituelle. A l’élégance vestimentaire, aux références choisies et aux manières recherchées de Don Shirley répondent la corpulence, le tempérament sanguin et la gouaille de Tony Vallelonga (ce dernier est fier de son surnom de baratineur – Tony Lip).

Un échange profond

Les deux personnages vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser. Une complicité se développe entre eux. Elle se mue même en une touchante amitié. Pour Lip (Vallelonga), la tournée inaugure une prise de conscience progressive. Il constate les discriminations et humiliations inouïes subies par son employeur: Don Shirley se voit refuser l’accès aux restaurants de ses lieux de concerts; on lui interdit aussi d’utiliser leurs toilettes. Lip est aussi témoin de la violence physique qui s’abat sur lui.

Don Shirley, de son côté, se défait de sa retenue, de sa sévérité et de sa tristesse au contact de cet ami épicurien qui l’aide à surmonter son sentiment de solitude et d’aliénation. Les deux hommes se respectent. Ils savent faire preuve de délicatesse dans des situations qui mettent en jeu l’identité profonde de chacun. Shirley aide un Lip, peu à l’aise avec l’écriture, à rédiger des lettres romantiques pour son épouse; Lip accepte l’homosexualité de Shirley. Le récit explore le lien amical riche et étonnant qui unit ces deux protagonistes hors normes dans une Amérique multiculturelle, mais rétrograde, à l’orée de grands bouleversements. L’efficacité de la réalisation et la qualité de l’interprétation font enfin de ce film une réussite très réjouissante.