«La crise ne pourra pas se dissiper avec la répression»

Nicaragua • Les associations de solidarités suisses appellent à des négociations entre le gouvernement de Daniel Ortega et l’opposition.

«Nicaragua: une crise non résolue qui attend des réponses politiques». Tel est le titre d’un communiqué de presse signé par un groupe nombreux d’associations actives depuis 40 ans dans la solidarité avec le peuple nicaraguayen. «Même si la violence qui s’est déchaînée dans la dernière quinzaine d’avril au Nicaragua a diminué de façon significative au cours de ces dernières semaines, la crise politique qui affecte ce pays d’Amérique centrale n’a pas trouvé d’issue. Il est urgent de voir se profiler des avancées, et à court terme, avec la participation de tous les secteurs concernés, dans le but de trouver un chemin de consensus durable, de nature à éviter tout risque d’une escalade aboutissant à une guerre civile et qui puisse écarter toute tentation assassine d’intervention militaire étrangère», insiste le groupe d’associations.

Rappelons ici, que des manifestations anti-gouvernementales ont commencé le 18 avril, suite à un décret présidentiel qui diminuait les rentes-vieillesse et augmentait la participation des entreprises et des salariés pour l’assurance maladie. La police est intervenue dans un premier temps très durement., Des affrontements ont laissé un bilan de près de 40 morts en quelques jours. La droite, qui avait jusque-là un accord tacite avec le président Ortega, l’a dénoncé, et l’église, qui s’est portée garante d’un dialogue national, a malheureusement très vite pris position contre le gouvernement. Tous ont alors demandé la démission du président et de son épouse, qui est la vice-présidente. Lors de nouveaux affrontements très violents, l’opposition a réussi à paralyser le pays pendant près de 3 mois. Depuis 2 mois, le gouvernement a réussi à reprendre la main, et les activités ont repris un cours qui semble à première vue normal. Daniel Ortega insiste – non sans quelque raison – sur le fait qu’il a échappé à un coup d’Etat.

Cette crise politique intervient dans un moment difficile pour l’Amérique Latine. Le Brésil vit ces jours une des élections la plus incertaine de ces 30 dernières années, avec une démocratie très mal en point. L’Argentine du président Macri est au plus mal et a dû demander l’intervention du FMI pour sauver le pays de la banqueroute, après avoir fait allégeance au grand capital national et international. Le Venezuela traverse une crise économique terrible et largement entretenue depuis les Etats-Unis, mais qui a des racines structurelles, liées à la dépendance à l’exportation de pétrole. La Colombie a élu un président de la droite qui conteste les accords de paix signés l’année passée entre le gouvernement et les Farc, et voit de nombreux leaders des mouvements sociaux assassinés. On sait moins que le Guatemala traverse aussi, depuis plusieurs mois, une crise politique grave. Des preuves de corruption accusent le président élu, qui s’accroche au pouvoir, avec le soutien de l’oligarchie et des Etats-Unis (est-ce là un indice de sa moindre médiatisation?).

Ni représailles, ni répression

Ceci dit, il est de notoriété publique que le président du Nicaragua, Daniel Ortega, un des commandants de la révolution sandiniste, qui a mis fin à la dictature somoziste en 1979 et a dirigé le pays dans les années 80, revenu au pouvoir depuis 11 ans, est détesté aux Etats-Unis par une très large majorité de politiciens. Mais l’arrivée de Trump à la présidence n’a évidemment rien arrangé. Néanmoins, les associations solidaires avec le peuple nicaraguayen affirment: « La fracture nationale et les polarisations sociales qui se sont produites à partir des faits qui ont éclaté dès le 18 avril sont une réalité de nature très triste et lamentable.»

Dialogue national gouvernement-opposition

Elles en appellent à un dialogue national: «Ce traumatisme profond ne pourra être absorbé à l’échelle de la Nation qu’à travers un espace de partage de parole entre les représentants de tous les secteurs impliqués. Ce n’est pas à nous, mouvement de solidarité, de dicter des recettes à qui que ce soit au Nicaragua: ni au gouvernement, ni à l’opposition ni à nos partenaires nicaraguayens avec qui nous travaillons au coude à coude depuis quatre décennies. Nous insistons, de notre point de vue, et en fonction des multiples informations et témoignages de nos partenaires et amis proches au Nicaragua, sur le fait que la crise ne pourra se dissiper par un surcroît de répression, de représailles et de persécutions envers ceux et celles qui pensent différemment.

Seul un rapprochement politique fait de consensus, de justice et de réparation envers les victimes recensées dénouera la crise qui perdure. C’est à nous également, mouvement de solidarité, d’interpeller l’État et le gouvernement du Nicaragua, qui est, rappelons-le, le principal responsable dans n’importe quelle nation démocratique de la gestion de la politique interne, c’est à nous d’intercéder pour tourner le dos à la tentation de déclencher une large politique de représailles consistant à militariser davantage le pays et à criminaliser systématiquement les acteurs sociaux de l’opposition. Toute réponse à des actes de violence doit être conduite dans le strict cadre de la loi. Les manifestations pacifiques et les différences d’opinion doivent être garanties. Le maintien de l’ordre public doit être de la seule responsabilité des forces de police dûment identifiées ».

C’est probablement à ce prix que le gouvernement sandiniste, qui a réussi jusqu’à cette année à trouver des solutions négociées, au point de revenir au pouvoir en 2007, restera un modèle pour la gauche latino-américaine. Même s’il est très contesté sur la scène internationale, le gouvernement de Daniel Ortega jouit encore d’une base populaire solide. Mais, il doit être protagoniste de négociations. Même s’il faut le reconnaître que, pour négocier, il faut que les parties en conflits le veuillent toutes, ce qui n’est pas acquis. Et comme toujours dans ces situations c’est le peuple qui trinque!