Il était une fois. Il était mille fois. Au cœur d’un bois enneigé, un petit chaperon rouge chemine avec son papounet sur la trace d’une biche. L’animal sacrificiel surgit. Le géniteur tourne son arme vers la tête de la fillette, qui ne voit pas cette visée meurtrière et paternelle. On apprendra que la choupinette «enfantôme», devenue à Oslo étudiante universitaire dissipée, est dotée de psychokinésie (la capacité à attirer les personnes désirées et effacer littéralement les êtres rejetés), vécue notamment à travers des crises psychogènes non épileptiques. Les conséquences en sont souvent létales sur toute personne venant à marcher sur les pieds de son subconscient tourmenté.
Le réalisateur norvégien Joachim Trier avoue son penchant pour les gialli, films d’horreur expressionnistes et baroques, à l’instar de Suspiria, signé Dario Argento, où la vérité se dérobe et l’héroïne se confronte à sa propre énigme. La bonne surprise du long-métrage se nomme Eili Harboe. Etant allée très loin sur le tournage dans l’expérience des crises auto-induites, elle incarne avec nuance frémissante et neurasthénie hagarde un être possédé et solitaire. Une mise en jeu qui tranche avec les interprétations lisses et monolithiques de ce type de personnage hanté dans le cinéma mainstream (Carrie, Charlie, L’Exorciste…).
Mouvements contradictoires
Ses dons surnaturels permettent à Thelma de faire disparaître son bébé hurleur de frère qui lui a piqué la «pole position» dans le cœur de maman. Puis sa copine de cœur métisse abonnée aux bluettes saphiques, qui l’a plongée dans des paradoxes nauséeux et amoureux. Ce, jusqu’à en vomir son refus du désir saphique, étouffant sous le carcan de son éducation pieuse, vague écho à Ingmar Bergman et Michael Haneke. «Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder. Résister et votre âme se rend malade à force de se languir pour ce qu’elle s’interdit», écrit Oscar Wilde. Ce n’est que partiellement avéré pour la juvénile Thelma.
A son père médecin nanti d’une voix psy velourée et qui songera bientôt à une forme de «trépanation médicamenteuse» pour sa fille paranormale en voie de sécularisation amoureuse, l’adolescente avoue une faute terrifiante: «J’ai bu deux bières avec des copains.» Ce, pour dissimuler des péchés charnels encore plus indicibles. Dans un filmage de pub pour café, elle fantasme, pompette, rouler des galoches à son amante avant de se faire visiter, extatique, par un serpent qui s’immisce dans sa bouche. Lesbianisme, masturbation féminine et coït phallique, une telle imagerie laisse songeur. Le cinéaste y voit plutôt une référence à la mythologie de la culture animiste des Sami, l’un des derniers peuples aborigènes au Nord de la Norvège.
Film de genres
C’est dire si au rayon symbolique pécheresse et actes de contrition, le réalisateur manie l’archétype, l’allégorie et le genre de manière hypertrophiée au sein d’un opus à la photographie plasticienne et ouatée. On se souvient d’Oslo, 31 août, qui le révéla en 2011. L’intrigue suivait la trajectoire d’un ex-junkie en sevrage ne parvenant pas à recoller avec le monde. La scène d’ouverture était celle d’un «baptême quasi suicidaire». Le jeune homme, après s’être lesté de pierres tel un pénitent, entrait dans le cours d’un fleuve. Pour mieux en émerger à bout de souffle.
Même truisme dans Thelma, où la jeune fille menace de se noyer dans une piscine scellée ou un lac sans fond avant de s’écrouler sur une herbette édénique. Pour mieux renaître à elle, lavée de son passé de cul-cul bénie. Joachim Trier serait-il devenu la rassurante voix atone et chill-out d’une génération qui confond profondeur avec un pur savoir-faire mis au service d’un récit télescopant plusieurs réalités ou songeries parallèles, notamment dans son dernier quart d’heure?
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Thelma. Au Cinéma City Club de Pully et aux Scala de Genève.
Dès le 7 mars.