La révolution vue par les communistes d’aujourd’hui

Interview • Comment le mouvement communiste appréhende-t-il aujourd’hui la révolution russe et son héritage? Qu’en est-il en particulier en Suisse? Les communistes d’aujourd’hui se revendiquent-ils de cette étiquette? L'historien Pierre Jeanneret répond à nos questions.

Pierre Jeanneret, historien, auteur de plusieurs ouvrages sur le mouvement ouvrier en Suisse romande, contributeur régulier de Gauchebdo et membre du POP Vaudois a répondu à nos questions.

L’héritage de la révolution russe fait débat entre gauche et droite. Qu’en est-il au sein même du mouvement communiste?
Pierre Jeanneret Pour une fraction de la droite et des historiens qui se rattachent à elle, le régime issu de la révolution russe est considéré comme uniquement négatif et criminel. La condamnation et la stigmatisation sont totales. Notons cependant que pour une partie des historiens «bourgeois», l’existence même de l’URSS a joué un rôle d’aiguillon obligeant le capitalisme occidental à se montrer plus «humain» et à accepter des augmentations salariales et des progrès sociaux.

Dans le mouvement communiste actuel, on peut distinguer deux positions. D’une part celle, minoritaire, qui continue à faire une apologie sans nuances de la révolution et de son héritage, y compris de l’ère stalinienne. D’autre part une position plus nuancée, qui relève d’un côté les avancées sociales, économiques et culturelles (alphabétisation, industrialisation, médecine pour tous), ainsi que le rôle majeur de l’URSS dans l’écrasement du nazisme et son soutien au mouvement d’émancipation des peuples; mais qui d’un autre côté ne ferme pas les yeux sur les crimes du stalinisme, les graves atteintes aux droits des peuples (Budapest 1956, Prague 1968), et même le rôle personnel de Lénine dans l’instauration de la Tcheka.

En Suisse, comment le PST/POP, héritier du mouvement communiste, s’est-il historiquement positionné par rapport à la révolution russe et à son héritage?
Le PST/POP a longtemps été fidèle «envers et contre tout» à l’URSS. Il fut stalinien, à l’instar de tous les partis communistes (PC) mais, disons, avec une relative modération… En pleine guerre froide, toute critique de l’Union soviétique pouvait être ressentie comme une trahison et un soutien au camp de «l’impérialisme américain». Cette trop grande fidélité a coûté cher au parti! Après l’invasion de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie en 1968, de l’Afghanistan en 1979, il a connu des vagues de démissions. Il est vrai que le PST/POP a parfois exprimé des critiques, pris ses distances, mais trop timidement. On lui a donc imputé toutes les fautes, voire les crimes de l’URSS et de ses satellites, ce qui l’a ghettoïsé. En cela, l’écroulement du «camp socialiste» a été pour lui, d’une certaine manière, une libération.

L’idée même de communisme est-elle aujourd’hui définitivement discréditée?
Pour la droite la plus virulente, le communisme est systématiquement assimilé aux purges staliniennes, au régime de la Corée du Nord, aux crimes des Khmers rouges, etc. Il est donc «intrinsèquement pervers», comme disait le pape Pie XII.

Mais l’idée de communisme telle que prônée déjà par des groupes de premiers chrétiens, par certains anabaptistes au 16e siècle, par Gracchus Babeuf et les Egaux sous la Révolution française, par Etienne Cabet puis par Marx et Engels au 19e siècle, c’est-à-dire un communisme qui signifie la fin d’une société de classes reposant sur l’exploitation de l’homme et les injustices sociales, cette idée-là – ou cette utopie – n’est pas morte et ne mourra sans doute jamais.

Malheureusement, le mot «communisme» a été entaché, dans la réalité historique – par tant d’expériences négatives et hélas parfois criminelles que beaucoup s’en méfient. Ainsi, certains membres du PST/POP se définissent avec fierté comme communistes, d’autres refusent cette étiquette qui, discréditée auprès de la population, conduirait selon eux le parti à l’isolement. Je crois qu’il faut respecter et accepter, au sein du PST/POP, ces deux tendances.