Par Urs Rauber, paru dans Vorwärts
Traduction et adaptation: Jeannot Leisi et la rédaction
Fritz Platten est avant tout connu comme organisateur du fameux retour en train de Lénine à travers l’Allemagne, en 1917. Mais en feuilletant des journaux suisses des années 1912 à 1922 , on se rend compte du rôle important qu’il a joué à cette époque. Leonhard Haas, ancien archiviste fédéral, le décrit ainsi: «Pour les bourgeois et les socialistes modérés, Platten fut considéré comme un révolutionnaire dangereux (…). Son image était irritante dans le paysage helvétique. Pour Lénine en revanche, il était trop doux à tous les égards.»
Un premier voyage en Lettonie
Lors de la première révolution russe de 1905, le jeune Platten se déplace à Riga, en Lettonie, pour «vaincre ou tomber dans la lutte». Il y est incarcéré durant neuf mois, avant de s’échapper. Devenu martyr, il gagne rapidement en popularité à Zurich et devient un membre dirigeant de l’association de formation ouvrière «Eintracht». Lors d’une grève générale d’une journée qui paralysa Zurich le 12 juillet 1912, il fait partie du comité de grève. Le positionnement de Platten au sein du parti social-démocrate suisse (PSS) était loin de faire l’unanimité. Il soutenait la gauche combative contre la majorité réformiste traditionnelle et le courant anarcho-syndicaliste. Platten paraissait pour beaucoup un «centriste», représentant de la ligne autoritaire.
Quand commença la Première Guerre mondiale, les différentes tendances de gauche du parti social-démocrate se rapprochèrent pour s’opposer à la politique de l’Union sacrée menée par la direction du PSS et son groupe au Conseil national. Platten était le dirigeant le plus important de «l’opposition intégrée» du parti social-démocrate, qui constitua le pilier de base du futur Parti communiste suisse (PCS), fondé en 1921. Il a été présent à tous les événements importants de son temps (Conférences de Zimmerwald et de Kiental, grève générale de 1918, fondation du PCS, etc.). Enfin, il était un lien important entre les bolchéviques russes et la gauche sociale-démocrate suisse de 1915 à 1917.
Emigration vers la Russie
Après la Conférence de Zimmerwald, en 1915, Platten se rapprocha de Lénine et devint son collaborateur suisse le plus proche. Néanmoins, il fut souvent critiqué par Lénine lui-même, notamment parce qu’il renonça jusqu’au bout à rompre avec Robert Grimm et la majorité du parti.
Platten collabora activement, en 1917, au retour de Lénine en Russie dans un «wagon plombé». Sa popularité en Union soviétique était surtout fondée sur cela, ainsi que sur le sauvetage de Lénine lors d’un attentat mené contre lui en 1918 à Petrograd. Il fût aussi marié une fois à une Lettone et deux fois à une Russe. Sa connaissance personnelle de Lénine – qui le fit élire à la présidence du congrès de fondation du Komintern – et la famine grandissante dans la Russie dévastée par la guerre civile ont pu le pousser à émigrer en URSS. S’ajoutent à cela des difficultés politiques et personnelles au sein du Parti communiste suisse. En 1923, Platten émigre définitivement en Russie soviétique.
Une commune agricole suisse
Il y développe une commune agricole suisse. L’idée lui était survenue au printemps 1919, suite à des discussions avec Lénine concernant la restructuration de l’agriculture sur une base socialiste. Un groupe de travailleurs enthousiastes s’était formé autour de lui, prêt pour le voyage en Russie. Il fut convenu de donner la propriété de Nowaja Lawa aux immigrants suisses. A son arrivé Platten expliquait: «Nous sommes venus ici dans la patrie de Lénine, pour aider les travailleurs et paysans russes à construire un nouvel Etat socialiste.» Bien que l’expérience ne connaisse pas d’année favorable à ses débuts – des 108 personnes initiales ne restaient plus que 32 en hiver 1927/28 – la colonie suisse, déplacée à Waskino au sud de Moscou, s’est épanouie. Elle fut régulièrement visitée par des Suisses voyageant en Russie.
Dès 1931, Platten enseigne l’économie politique et l’histoire du Komintern à l’institut de langues étrangères à Moscou. Il s’engage aussi politiquement durant les années 20 dans sa communauté suisse et dans le «Club Allemand» à Moscou mais se retire de la vie publique par la suite. Son amitié avec Zinoviev et Radek – les deux d’anciens émigrants en Suisse et participants du «wagon plombé» – le mettent en conflit avec l’État. Il est arrêté en mars 1938 et incarcéré durant 20 mois, puis jugé en octobre 1939 et envoyé dans plusieurs camps de travail pour purger sa peine et meurt fusillé en 1942. En 1956, Fritz Platten est réhabilité officiellement par l’Union soviétique.