La RIE III ne fait pas rire du tout

Vaud • Le 20 mars, les Vaudois se prononceront sur «une des plus importantes refontes fiscales des 50 dernières années», la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). La gauche de la gauche et les syndicats, qui ont lancé un référendum, dénoncent une catastrophe pour les finances publiques et les emplois.

De prime abord, la bataille semble inégale. De la droite, en passant par l’UDC, les Verts et le PS, presque tous les partis ont décidé de prêter allégeance au duo Broulis-Maillard pour soutenir leur réforme. Anticipant la RIE III au niveau fédéral, le Conseil d’Etat et la majorité du Grand Conseil ont ainsi décidé de fixer un taux d’imposition sur le bénéfice harmonisé à 13,8% (contre 21,65% actuellement). Celui-ci sera valable pour toutes les entreprises, ce qui conduira à la suppression des taux d’impôts spéciaux, «à bien plaire» – incompatibles avec les normes internationales – pour les entreprises à statuts particuliers. En augmentant la charge sur ces dernières, le canton devrait engranger 50 millions supplémentaires (à ajouter aux 311 millions qu’elles rapportent aujourd’hui), mais perdre, globalement, 500 millions de francs par an avec cette baisse de la fiscalité des personnes morales. Pour le Canton, qui escompte une rétrocession de 107 millions de la part de la Confédération, cette réforme serait inévitable pour «rester attractif et concurrentiel». Face à cet unanimisme, certains ont pourtant décidé de ne pas désarmer. Pour la gauche de la gauche, qui regroupe aussi bien le POP que solidaritéS, la Jeunesse socialiste ou la Gauche anticapitaliste et les syndicats comme le SSP ou SUD, il y a maldonne et tromperie sur la marchandise.

Les PME en profiteront?

«La réforme vaudoise, qui n’entrera en vigueur qu’en 2019, est prématurée, car, au niveau suisse, la réforme est encore en discussion. Tout en mettant fin à leur statut particulier, le Conseil fédéral prévoit d’octroyer des nouvelles exonérations pour les «patent box» ou pour les activités de recherche et développement de ces sociétés. Ce qui conduira à des baisses de recettes plus fortes que prévues», affirme en préambule, Julien Eggenberger, président du SSP-Vaud. «Du fait de ces changements nationaux, le Conseil d’Etat vaudois pourrait donc être contraint de revenir, à terme, devant le Parlement, en modifiant sa réforme», précise le député socialiste vaudois. Premier point de désaccord: celui qui touche aux destinataires de cette réforme. L’Etat prétend que le changement profitera aux 28’000 PME établies dans le canton. «La quasi-totalité de ce cadeau ne profitera pas aux PME, dont moins de 30% sont soumises à l’impôt sur le bénéfice, mais aux grandes entreprises (comme Nestlé, McDo et Bobst, ndlr) et aux multinationales qui assument l’immense majorité de l’impôt sur le bénéfice», relève le comité anti-RIE III. Cette réforme évitera-t-elle le départ sous d’autres cieux des entreprises à statut particulier et préservera-t-elle leurs 25’000 emplois directs et indirects, comme l’assène le Conseil d’Etat? Secrétaire du SSP-Vaud, David Gygax, balaie l’argument. «Les actionnaires des entreprises qui payent l’impôt sur le bénéfice n’ont pas besoin d’aide. Par contre, les emplois dépendant de près ou de loin des dépenses publiques (construction, artisanat, services, secteurs public et parapublic) seront menacés par la baisse des investissements des collectivités. En cas de oui, des milliers d’emplois sont menacés dans ces secteurs», relève le syndicaliste, qui considère que les baisses d’impôt profiteront aux actionnaires des grands groupes.

Prestations sociales de dupes

Autre pierre d’achoppement: malgré les dernières promesses de l’exécutif vaudois d’une amélioration de la péréquation entre communes, celles-ci s’attendent déjà à des pertes sèches de rentrées fiscales, de l’ordre de 50 millions à Lausanne, de 4 à Nyon ou de 2,7 à Renens. A terme, une hausse d’impôt pour les personnes physiques et tous les ménages semble irréversible. En échange de ce taux unique et de ces baisses d’impôt aux entreprises, le Conseil d’Etat a concocté un paquet social. Ah! le fameux paquet social, objet de toutes les attentions et dithyrambes! Celui-ci prévoit l’augmentation des allocations familiales, le doublement de la participation de l’Etat et des entreprises dans l’accueil de jour et le plafonnement à 10% du revenu d’un ménage du poids des primes-maladie. Un bon marchandage, comme se complaît à l’annoncer en long et en large le conseiller d’Etat socialiste Pierre-Yves Maillard, particulièrement nerveux à l’abord de la votation? «Notre référendum ne vise pas ces mesures d’accompagnement social que nous approuvons, mais seulement la baisse du taux d’imposition», souligne d’emblée Johnson Bastidas, assistant social et candidat popiste à la municipalité de Renens. Il pointe aussi les limites du paquet. «Avec une augmentation des allocations familiales à 300 francs, le canton ne fera que s’aligner sur les montants alloués en Valais ou à Genève. De plus, dans ce dernier canton, l’imposition qui pèse sur un couple marié qui gagne 80’000 francs par an est déjà moins lourde que dans le canton de Vaud. Toute allocation faisant partie du salaire imposable, cette charge fiscale augmentera encore», précise le militant. «En ce qui concerne la participation aux places de crèches, celle-ci n’est finalement qu’un rattrapage par rapport à l’augmentation massive de la population et à l’approbation par le peuple vaudois d’une école à journée continue en 2009», critique le popiste.

Concurrence fiscale nuisible

«Au-delà des chiffres, cette réforme cache un débat idéologique sur le rôle de redistributeur des richesses qui incombe à un Etat. Le gouvernement est aujourd’hui le porte-parole des multinationales et des entreprises», conclut Johnson Bastidas, en rappelant que celles-ci ont déjà enregistré une baisse forte de leurs impôts sur le capital et sur la fortune. Pour les opposants, la réforme est finalement d’autant plus inacceptable qu’elle va renforcer la concurrence fiscale entre cantons dans une course à la sous-enchère intercantonale. «Celle-ci est nuisible tant elle conduit à un moins-disant fiscal et à la perte de marge de manœuvre de l’État. Avec le taux proposé pour le canton de Vaud, on se situe dans le très bas de la fourchette, même si quelques juridictions (l’Irlande et Lucerne par exemple) font pire. En lançant sa réforme avant tout le monde, le Canton de Vaud va créer un appel d’air considérable en renforçant la concurrence fiscale», note Arnaud Thiéry, rédacteur au journal Pages de gauche et membre du PS, parti qui, au niveau national, défend un taux d’imposition minima de 16% sur les entreprises.