Par Julia Hamlaoui, paru dans L’Humanité
Ceux qui cherchent à construire ensemble une alternative de gauche unitaire en vue de la présidentielle doivent désormais compter avec une candidature qui, au nom du même objectif, entend emprunter son propre chemin. En ce sens, la déclaration de Jean-Luc Mélenchon, le 10 février, sur le plateau du journal de vingt heures de TF1, est vue par certains comme un grain de sable supplémentaire dans une mécanique de rassemblement qui en compte quelques autres. «Je propose ma candidature pour l’élection présidentielle», a-t-il déclaré, sans prévenir au préalable ses partenaires communistes ou d’Ensemble. Celui qui, en 2012, sous les couleurs du Front de gauche, avait réuni quatre millions de voix, soit 11,1% des suffrages exprimés, estime qu’après des actes de candidatures à droite et à l’extrême droite, il est temps de «passer à l’action» et de ne pas «rester sans voix ».
Cette annonce, qui se préparait déjà depuis quelques semaines, intervient alors que depuis le début de l’année, les partisans à gauche d’une alternative à la politique conduite par François Hollande, Manuel Valls et leur gouvernement cherchent une issue aux pièges des prochaines échéances. Le cofondateur du Parti de gauche (PG) y apporte sa propre réponse, creusant le sillon d’une démarche engagée avec le Mouvement pour une VIe République (M6R) dès septembre 2014 en s’adressant directement aux citoyens. «Moi, je propose ma candidature, c’est le peuple qui va en disposer, je ne demande la permission à personne, je le fais hors cadre des partis. Je suis ouvert à tout le monde, les organisations, les réseaux, mais les citoyens d’abord», a-t-il déclaré, assurant avoir derrière lui «des convictions, c’est le plus important, et peut-être le peuple français».
«Une candidature solo qui ne règle pas la question»
De quoi faire tiquer ceux qui estiment que la page collective de la gauche n’est pas déjà totalement tournée. Visant à sa façon à dépasser la rupture grandissante entre électeurs et politiques, c’est à travers une plateforme Internet que le député européen lance son «appel à l’engagement».
Mis devant le fait accompli, puisque cela n’a été «ni décidé ni discuté» en commun, a confirmé le porte-parole du PCF Olivier Dartigolles, les responsables des autres formations du Front de gauche ne disputent pas à Jean-Luc Mélenchon le fait qu’il soit fondé à proposer sa candidature, mais bien plutôt la démarche individuelle dans laquelle il l’inscrit. «Il est légitime que Jean-Luc Mélenchon puisse prétendre à être candidat. Mais aujourd’hui, il y a un risque réel que l’idée même de gauche, du parti pris de l’émancipation, du progrès, disparaisse, et, dans le même temps, des hommes et des femmes ont décidé que François Hollande n’est pas leur candidat naturel. Il y a des potentialités inédites de rassemblements bien au-delà ce qu’on a pu faire en 2012», estime Olivier Dartigolles, jugeant qu’une «candidature solo» ne règle pas la question. «Nous souhaitons qu’une démarche collective porte la candidature de 2017 pour notre famille politique, qui doit être élargie», ajoute, au nom d’Ensemble, Clémentine Autain, pour qui Jean-Luc Mélenchon «semble avoir enterré le Front de gauche. Dans le même temps, souligne-t-elle, celui-ci est dans une passe difficile et tous les partenaires s’accordent à dire qu’il faut créer un nouvel outil politique».
La gauche ne doit pas être marginalisée
Du côté du gouvernement, tout est bon pour torpiller ce qui pourrait se construire à sa gauche pour 2017. Stéphane Le Foll, son porte-parole, se saisit de l’occasion pour enterrer à bon compte toute proposition de primaire. «Il a fait le choix de présenter cette candidature très longtemps à l’avance pour être sûr qu’il n’y ait pas de primaires», a-t-il fait mine de regretter alors que la direction du PS multiplie les stratégies pour que François Hollande n’ait pas, in fine, à s’y soumettre. Ce dernier est d’ailleurs prêt à tout pour diviser les rangs de la contestation à gauche. En témoigne la nomination au ministère du Logement de la secrétaire nationale d’Europe Écologie-les Verts (EELV), Emmanuelle Cosse, dont le parti a multiplié les critiques depuis sa sortie du gouvernement en mars 2014.
Nécessité d’une démarche commune
Parmi les signataires des différents appels à une primaire, cependant, nombreux sont clairs sur leur ambition de construction d’une «alternative», comme l’a récemment explicité la militante féministe Caroline De Haas. «Je n’accepte pas que le PG alimente l’idée que je serais favorable à une primaire de toute la gauche, tacle de son côté Clémentine Autain. Nous proposons une votation citoyenne qui s’inscrit dans le cadre de la gauche qui conteste la politique gouvernementale. Et quand j’écoute Pierre Laurent (président du Parti de la gauche européenne, ndlr.) dire: «Jamais avec François Hollande», j’estime que la démarche vise sans doute le même objectif », précise-t-elle. «Il nous faut faire en sorte que l’idée même de gauche ne soit pas marginalisée», insiste pour sa part Olivier Dartigolles, alors que le scénario d’un affrontement exclusif entre la droite, l’extrême droite et la gauche gouvernementale est loin d’être écarté.
Un danger qui s’accroît avec le nombre des candidatures de ceux qui entendent le contester. «On est dans une situation de division préjudiciable à tout le monde. Il faut continuer d’œuvrer à une démarche large dans laquelle Jean-Luc Mélenchon puisse s’inscrire. S’il y a une multitude de candidatures dans notre gauche, on va à la catastrophe», prévient Clémentine Autain, qui pense que «le pire serait de couper les ponts». «Les autres pourraient renoncer à se présenter», a balayé le député européen, en réponse à une question de TF1. Le PCF ne désespère pas pour autant de parvenir à construire une démarche commune. «Cela rend encore plus nécessaire ce que nous avons engagé. Plus que jamais, il y a besoin de discuter avec tous ceux qui souhaitent l’alternative à gauche, y compris Jean-Luc Mélenchon», explique Olivier Dartigolles, qui avance, après une première réunion avec les appelants à une primaire, l’idée d’un calendrier en deux temps: discussion jusqu’à l’été sur le contenu d’un projet commun, avant la mise en place d’un dispositif qui permette de désigner un candidat pour l’incarner.