La photographie vraiment réinventée?

Exposition • Les Rencontres arlésiennes de la photographie, qui se tiennent dans la ville du Sud de la France durant toute la période estivale, réunissent 33 expositions. Elles rendent compte de la diversité des pratiques de l’image photographique traversée par d’autres médiums.

Image tirée de l’expo «Corée du Nord. Une vie entre propagande et réalité» d’Alice Wielinga ©Alice Wielinga

Ce festival se veut un temps de réflexion esthétique, historique et politique sur le monde en suggérant que la photographie reste la première pratique culturelle. L’ancien responsable du Musée de l’Elysée à Lausanne et nouveau directeur de la manifestation, Sam Stourdzé affirme: «Hybridation, contamination, confrontation, friction…: la photographie se réinvente par contact, au croisement des disciplines et des tendances. Elle est en elle-même un lieu de rencontres aux dialogues transdisciplinaires qui rappellent sa vigueur. Aujourd’hui encore, elle continue de nous surprendre par sa capacité à mobiliser des enjeux artistiques mais aussi sociaux, culturels, historiques.»

L’être et le néon
Né en 1950 aux Pays-Bas, Toon Michiels, photographe et artiste, a travaillé en indépendant comme graphiste et collaboré avec des agences de communication. Il semble reconduire en partie le geste de la Nouvelle objectivité allemande, apparue au milieu des années 1920, qui axe ses fondements sur l’objectivité du style et du contenu. D’où le déploiement d’une nouvelle esthétique se cristallisant sur une étude de la nature du visuel comme signe et scansion de l’espace urbain, l’organisation de la perception en prenant pour thème le domaine des architectures et objets du quotidien. Au milieu des années 1970, Toon Michiels a réalisé plusieurs périples aux États-Unis avec une voiture de location. La dimension typologique ramène, elle, au travail de Vernard et Hilla Becher, qui photographient aux Etats-Unis notamment , les symboles d’une ère industrielle sur le déclin. Ce couple de photographes allemands, depuis les années 50, photographie des bâtiments industriels comme des puits de mines, des châteaux d’eau, des usines avec leurs hauts-fourneaux ou des silos à grains. Leur particularité est de toujours les photographier avec la même lumière (ciel couvert), le même cadrage (frontal et centré) et la même technique, de façon à créer des typologies de ces constructions qui mettent en valeur à la fois leurs points communs et leurs différences.

Le livre Néons et l’exposition Enseignes lumineuses américaines de jour et de nuit, forment un inventaire incomplet par essence d’enseignes lumineuses énergivores réalisées à partir de néons, qui bordent les routes ou les rues des villes de l’État du Nevada, comme Reno et Las Vegas. Ces enseignes sont photographiées en diurne, puis en nocturne. L’angle de prise de vue est identique pour les deux clichés, mais le résultat module des variations inattendues dans la perspective, les horizons et les verticalités des sujets photographiés.Cadrées frontalement et centrées, ces enseignes néon aujourd’hui massivement supplantées par la diode électro-luminescente, moins énergivore et plus pérenne, deviennent ici des totems, des sculptures qui se découvrent sous un autre jour, comme si un filtre avait été placé sur la prise de vue, combinant l’écrit et le visuel et ramenant aux années 50-60.

Propagande interrogée
La Corée du Nord n’a jamais eu bonne presse. Un ordre dynastique concentrationnaire et mortifère se traduisant par quelques 120’000 personnes détenues et mourant à petit feu dans cinq camps de prisonniers et des famines à répétition, métastase stalinienne d’un régime meurtrier et opportuniste, idéaux dévoyés, nationalisme frénétique, fréquentes purges, culte du chef en la personne aujourd’hui de Kim Jong-Un, sorte de docteur Folamour sanguinaire et grotesque bourreau de son peuple.

Lorsqu’on cherche à forcer l’imagerie de la propagande nord-coréenne, la première couche à interroger est celle d’une idée reçue qui poserait que le régime soit ubuesque, absurde, indéchiffrable, parce qu’il serait ambigu, hyperbolique et sibyllin. La Hollandaise Alice Wielinga a réalisé le projet multimédia Corée du Nord, une vie entre propagande et réalité. Images officielles et prises de vue personnelles se répondent pour mettre en crise une histoire qui déconstruit le mythe d’une dictature qui doit autant au hasard qu’à la nécessité. En mettant les images produites par Pyongyang avec celles qu’elle a réalisées, elle compose une forme de collage montage ouvrant sur plusieurs époques. Prenez ce cliché montrant l’image d’Epinal archétypale et peinte de la glorieuse armée nord-coréenne progressant collectivement dans la neige, avec en premier plan un paysan solitaire assis sur sa charrette tirée par un bœuf. «En avril 2013, j’entrepris un voyage à travers la Corée du Nord», explique la jeune femme née en 1981. Elle ajoute avoir «parcouru 2’500 kilomètres et traversé des villes dénuées d’éclairage électrique, je me suis assise dans des restaurants vides, et j’ai vu une sorte de filet jaune gluant s’écouler du robinet dans un hôtel classieux où l’on loge les étrangers comme moi. Au fil de mon tour du pays contrôlé par le gouvernement, mes guides n’ont pu cacher la pauvreté et les inégalités extrêmes qu’on peut y trouver. À travers la vitre du van, j’ai pu saisir un aperçu de la réalité nord-coréenne.»

Journée au Musée

Dans les films de l’Iranien Abbas Kiarostami, on voyage sur place, on tourne en rond sans forcément avancer. Cinéma de l’entre-deux et du déplacement, il renvoie plutôt à la notion de cheminement, de démarche. A l’évidence, le cinéaste porte une affection particulière à la sensibilité individuelle et lui accorde sa plus grande attention. Avec la série photographique Regardez-moi, sa confrontation muette avec la peinture du cinéaste n’est pas sans rappeler National Gallery, le documentaire de l’Américain Frederick Wiseman, qui creuse un intervalle entre les âges et les subjectivités, les visiteurs d’un espace muséographique et les toiles de maîtres exposées, entre ce que les tableaux ne nous montrent plus et ce que malgré tout, on continue à y voir. Au fil de ses visites dans plusieurs musées, dont le Louvre, Kiarostami suit les touristes. Il enregistre avec une attention anthropologique ces visiteurs, souvent de dos, devenus protagonistes malgré eux des tableaux que le cinéaste compose, dans un effet de mise en abyme. Comme l’ont relevé Michel Foucault ou Deleuze, le cadre n’est-il pas le point commun de la peinture au cinéma, permettant une traversée des disciplines?

Rencontres de la photographie, Arles, du 7 juillet au 21 septembre. Rens. www.rencontres-arles.com