Quarante ans d’art vidéo au MBA

EXPOSITION • Avec « Making Space. 40 ans d'art vidéo », le Musée des Beaux-Arts de Lausanne donne au grand public l'occasion de se familiariser avec une expression artistique déjà quadragénaire mais encore largement incomprise.

Avec « Making Space. 40 ans d’art vidéo », le Musée des Beaux-Arts de Lausanne donne au grand public l’occasion de se
familiariser avec une expression artistique déjà quadragénaire mais encore largement incomprise.

Une part importante des lecteurs
et lectrices de Gauchebdo est
probablement peu familière avec
l’art vidéo, qui véhicule souvent une
image d’art élitaire pour « bobos » branchés.
Pas tout à fait à tort il est vrai. Certaines
oeuvres – y compris parmi celles
présentées au MBA – nous semblent
faire preuve d’une singulière vacuité.
Ainsi, on peut s’interroger sur le sens
pour le spectateur de voir pendant de
longues minutes une foule marcher
dans une ville devant le même fond de
bâtiment moderne impersonnel, ou la
tête de l’artiste Bruce Nauman en lente
rotation à la manière des derviches
tourneurs, sans l’extase liée à leur
danse…

Cela étant dit, l’exposition offre au
public un parcours nullement dénué
d’intérêt à travers quarante ans de création.
1973, c’est l’année où le MBA
acquit sa première oeuvre vidéo. Cela
grâce à son remarquable conservateur
de l’époque, René Berger (1915-2009),
véritable explorateur des nouveaux
médias artistiques. 1973, c’est aussi l’année
où fut réalisé Global Groove du
Coréen Nam June Paik, aujourd’hui
considéré comme la bande culte de
l’histoire de la vidéo. L’oeuvre est constituée
d’un collage de fragments pris à la
TV, dans une perspective tantôt poétique,
tantôt ironique. Une sorte de
tachisme psychédélique y voisine avec
des images qui connotent fortement
leur époque, telles ces scènes empruntées
aux représentations du Living
Theatre
. Le détournement d’images TV
apparaît d’ailleurs comme l’un des
grands axes de l’art vidéo à ses débuts,
présenté dans la première salle.

La deuxième est entièrement occupée
par une vaste installation de la
vidéaste Kim Sooja, elle aussi
Coréenne. L’artiste est filmée immobile
et de dos, en plan fixe, dans des rues
animées de huit grandes villes, face à
face avec les populations. Il y a des
similitudes entre ces foules urbaines,
mais aussi des différences : on ne réagit
pas de la même manière à Shanghai, à
Delhi ou à Lagos devant une femme à
la pose hiératique. L’opus témoigne
donc à la fois d’un « univers monde » et
de différences culturelles. On retrouve
la ville avec Tirana, longtemps grise et
déglinguée, dont le maire commente la
transformation grâce aux couleurs qui
humanisent ses façades.

Une place importante est faite à la
vidéaste suisse Emmanuelle Antille.
Celle-ci, en 2001 déjà, explore ses rapports
ambivalents, voire troubles avec
sa propre mère, qui sera une décennie
plus tard le sujet de son film Avanti
(voir Gauchebdo du 15 février 2013).
N’est-ce pas ce lien qu’elle veut suggérer
par le réseau de fils que tisse cette dernière
à l’intérieur de sa maison ? Ces
rapports intergénérationnels sont également
omniprésents dans une vidéo où
la fille et la mère échangent caresses et
massages, en une sorte de cérémonie
rituelle.

C’est à deux femmes vidéastes finlandaises
que l’on doit les oeuvres à nos
yeux les plus signifiantes de l’exposition.
Salla Tykkä se penche sur le passage de
l’adolescence à l’âge adulte, à travers la
rencontre non aboutie entre une jeune
fille et un jeune homme. Et surtout
Eija-Liisa Ahtila : en se basant sur des
entretiens avec des femmes psychotiques,
elle raconte l’histoire de l’une
d’entre elles qui entend des voix, et s’enferme
dans sa maison comme à l’intérieur
d’elle-même. L’artiste traduit, au
milieu de paysages nordiques emblématiques,
un monde onirique et un
univers mental perturbé. Voilà une
oeuvre à la fois belle et grave, qui fait
sens. Mais il faut relever que, chez ces
deux artistes, l’usage de la vidéo ne diffère
guère de ce que l’on pouvait obtenir
par le cinéma en 8 ou 16 mm.

Notons que les enfants, assez nombreux
dans le public, semblent plus
immédiatement réceptifs que les
adultes à l’art vidéo, sans doute parce
qu’ils ont été familiarisés dès la naissance
avec le monde de l’image mobile
et de ses multiples possibilités. A son
habitude, le MBA a préparé à leur
intention une petite brochure fort bien
conçue, qui fait appel à leur sens de l’observation
et à leur imagination. La
vidéo est-elle donc la forme artistique
qui s’imposera demain ?

JPEG - 151.7 ko
Vue de l’installation « A Needle Woman » de Kim Sooja, qui montre l’artiste immobile et de dos filmée dans huit villes du monde. (photo Nora Rupp / mcb-a)

« Making Space. 40 ans d’art vidéo », Lausanne,
Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 5 janvier
2014.