Candidat au Conseil d’Etat genevois avec de sérieuses chances de succès, l’écologiste fait revivre, avec sa mère Sylvia, le
souvenir de la dictature argentine et des années d’exil tout en présentant ses thèses politiques.
Le livre Fils est un récit à deux voix, non dénué par ailleurs de qualités d’écriture. Mais l’essentiel n’est pas là. Antonio Hodgers est l’auteur des chapitres narrant ses propres souvenirs. Ceux qui évoquent le vécu de sa mère Silvia ont été rédigés, sur la base d’entretiens, par la sociologue Sophie Balbo. Or Antonio et Silvia sont respectivement le fils et la veuve du militant révolutionnaire argentin Hector Hodgers, enlevé, torturé et assassiné dans des conditions restées obscures. Ce livre souvent poignant nous entraîne donc au cœur des années les plus noires de la dictature des généraux Videla et consorts, une camarilla de criminels tardivement rattrapés par la justice. Pour celles et ceux qui connaîtraient mal cette histoire, le récit de Silvia en propose un bon résumé, certes à l’aune de sa subjectivité de militante. Un récit pourvu d’esprit critique, a posteriori, envers les illusions guévaristes, l’amateurisme des guérilleros et le dogmatisme des membres marxistes-léninistes du PRT (Partido revolucionario de los trabajadores), qu’ils payèrent certes héroïquement mais chèrement. Rappelons qu’il y eut 30’000 disparu-e-s, 15’000 personnes exécutées, 9’000 prisonniers et prisonnières politiques et 1,5 million d’exilé-e-s pendant la dictature en Argentine (1976-1983). Des chapitres particulièrement intéressants fondés sur les souvenirs de Silvia sont consacrés aux étapes de l’exil. D’abord en Italie, où une vibrante et fraternelle solidarité entourait les exilés argentins qui ne songeaient qu’à reprendre le combat dans leur pays. Puis au Mexique, où elle fut emprisonnée, enfin dans notre pays où, dit-elle, « la chaleur de l’accueil des Suisses contraste avec la dureté de leur administration ». Tout le récit de Silvia contient des épisodes tantôt tragiques, tantôt rocambolesques.
Le double regard de l’enfant
et de l’adulte Antonio
Comment Antonio Hodgers allait-il se situer face à ce passé subi plutôt que choisi, à ce père Hector qu’il n’a pas connu ? C’est là tout l’intérêt humain et psychologique de ses propres réminiscences. Il y a d’abord la candeur du regard de l’enfant qu’il fut, que l’auteur réussit à restituer avec authenticité. Tel ou tel épisode qui aurait pu être traumatisant a été vécu avec une sorte d’innocence qui l’a préservé : ainsi du séjour en prison, au Mexique, vécu avec sa mère soupçonnée d’avoir participé au Paraguay à la liquidation de l’ancien dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza. Il y a aussi le regard de l’adolescent puis de l’adulte confronté à un passé familial douloureux. L’un des passages les plus émouvants de son récit est lié à sa tentative de retrouver, à Buenos Aires, les traces du père mythique auprès de sa grand-mère murée dans le deuil, et l’échec de cette tentative. Antonio Hodgers nous raconte aussi les étapes de son propre parcours politique. On perçoit dans ces pages une volonté diffuse de se disculper de n’avoir pas suivi la voie marxiste-léniniste révolutionnaire de ses parents engagés dans la guérilla. Il explique son refus d’être, à dix-neuf ans, « un jeune idéaliste qui, avec un poster du Che Guevara dans sa chambre, pense que la Révolution, avec un grand R, est à portée de quelques manifestations et de coups de gueule ». Son engagement, il le réalisera dans d’autres conditions politiques que Silvia et Hector, dans un contexte historique différent : « Je prendrai les instruments de la citoyenneté, puisque j’évolue en démocratie. Il n’y a pas de contradiction à cela. (…) En réalité, reprendre tel quel le discours politique de mes parents serait réellement les trahir. Tout en sauvegardant les mêmes valeurs fondamentales, je dois trouver ma propre voie en fonction de mon propre cadre historique. » Sa démarche citoyenne finira par le conduire, comme on le sait, chez les Verts (élection à 21 ans au Grand Conseil genevois en 1997, au Conseil national en 2007).Dans des « Annexes » à Fils, qui nous paraissent cependant un peu en décalage avec le contenu principal de ce livre attachant, il présente les thèses principales des écologistes.
Cet ouvrage constitue donc à la fois une approche historique de la réalité argentine à travers le regard de la mère militante, une belle évocation du passé et une réflexion sur celui-ci, enfin un témoignage du fils sur son propre vécu de ce passé et sur les modalités de son engagement politique. Dans sa dédicace, Antonio Hodgers écrit : « A ma grand-mère, ma mère, ma sœur, mon épouse et ma fille, les femmes sur lesquelles je peux compter. » Quel plus bel hommage pouvait-il rendre aux sien-ne-s ?
Antonio Hodgers et Sophie Balbo, Fils. Biographies de Silvia et Antonio Hodgers, éd. de L’Aire, 2013, 178 p., 30 frs.