A Lausanne, l’Hermitage présente la production des dernières décennies du peintre surréaliste catalan.
L’exposition de l’Hermitage nous présente un
Miró méconnu. Même ses admirateurs qui
pourraient être un tantinet lassés par le côté un
peu répétitif du Miró « classique », donc surréaliste
(celui dont on peut suivre le parcours dans le magnifique
musée qui lui est consacré sur la colline de
Montjuich à Barcelone), seront surpris et intéressés.
La présentation lausannoise n’est en effet pas une
rétrospective, quand bien même elle coïncide avec le
120e anniversaire de la naissance de l’artiste (1893) et
le 30e de sa mort (1983). Elle se concentre sur la production
majorquine des dernières décennies. « Je rêve
d’un grand atelier », écrivait Joan Miró dès 1938. Il
pourra exaucer son rêve en 1956. Il fait construire
dans la grande île des Baléares – où pour lui tout est
poésie et lumière – une superbe maison comprenant
un immense atelier, ce qui lui permettra de travailler
parallèlement à de nombreuses oeuvres de grand format.
Avec bonheur, l’exposition de l’Hermitage met
en scène une partie de cet atelier, avec la grande table
sur laquelle Miró posait les objets (cailloux, morceaux
de céramique ou ossements) qu’il aimait à ramasser,
et avec lesquels il faisait des sculptures composées
d’étonnants assemblages. La maison de Majorque
illustre aussi les rapports profonds du peintre avec
l’architecture. Elle est l’oeuvre de Josep Lluís Sert (Barcelone
1902-1983), avec lequel Miró avait déjà collaboré
pour la construction et le décor du pavillon de la
République espagnole à l’Exposition universelle de
Paris en 1937. Il y avait réalisé une grande fresque, Le
Faucheur (Paysan catalan en révolte). L’exposition lausannoise
met d’ailleurs en avant cet intérêt du grand
artiste espagnol pour la peinture murale, art populaire
par excellence et visible de tous. On peut y voir
par exemple les esquisses pour la fresque ornant le
Terrace Plaza Hotel de Cincinnati (1947).
Vers le dépouillement et l’ascèse
Les dernières décennies de l’artiste, on l’a dit, sont
caractérisées par un profond renouvellement, dans le
sens d’un dépouillement croissant : « J’éprouve le
besoin d’atteindre le maximum d’intensité avec le
minimum de moyens », écrit-il en 1958. Et en effet, le
visiteur sera interpellé par des techniques et des
formes auxquelles il n’était pas habitué, s’agissant de
Miró. L’artiste va vers la simplification et la schématisation,
il n’hésite pas à peindre au doigt, retrouvant
ainsi l’âge des cavernes et de l’art pariétal. Dédaignant
de plus en plus la peinture de chevalet, il étend ses
grandes toiles par terre et y travaille à plat ventre. Au
terme de cette quête de simplicité, il peint de grandes
toiles en noir et blanc inspirées par le dessin et la calligraphie
japonais si épurés.
Bref, c’est un Miró original qui nous est présenté
ici. Même sa personnalité, que l’on croyait volontiers
« poétique et enfantine », nous est révélée sous un jour
nouveau. Dans une interview de 1958, il prononce ces
paroles étonnantes : « Je suis d’un naturel tragique et
taciturne ». L’humour dans son oeuvre est une
manière « d’échapper au côté tragique de [son] tempérament
». Cet ensemble de 80 oeuvres – peintures (la
plupart de grand format) et sculptures – mérite donc
absolument la visite.
« Miró. Poésie et lumière », Lausanne, Fondation de l’Hermitage,
jusqu’au 27 octobre.
- Intérieur de l’atelier de Joan Miró réalisé par Josep Lluis Sert, 1973. L’exposition de l’Hermitage met en scène avec bonheur une
partie de cet atelier. (Photo Francesc Català-Roca)