Le Léman a deux faces, lumineuse et mélancolique

EXPOSITION • Le Musée Jenisch propose une exposition profondément originale sur les représentations artistiques de l'immense lac alpin.

Le Musée Jenisch propose une exposition profondément originale sur les représentations artistiques de l’immense lac alpin.

Sur le thème du Léman, dont
les sublimes paysages ont inspiré
les émules de Rousseau
(La Nouvelle Héloïse) et de Lord
Byron (The Prisoner of Chillon), on
aurait pu s’attendre à une exposition
convenue, véhiculant des clichés de
cartes postales. Il n’en est rien. La
présentation conçue au Musée
Jenisch par son ancien directeur,
Dominique Radrizzani, est insolite
et captivante. Divisée en deux
grands ensembles, elle illustre bien
la dualité de cet immense lac alpin
dans les yeux des artistes. Sa face
sereine et lumineuse d’abord. On
admirera les extraordinaires ciels
sanglants des crépuscules de
Bocion, avec ces éléments de
modernité que sont les bateaux à
vapeur crachant leur noire fumée.
Chez Vallotton aussi, cette modernité
surgit dans une assez étonnante
vue de Vevey en 1900, où l’accent
est mis sur la gare et les ateliers
mécaniques, dans un beau jeu de
gris, bleus pâles et verts. Chexbres,
« balcon du monde », est un lieu privilégié
où les peintres aiment à
poser leur tréteau. Ils peuvent y
embrasser cette totalité de l’univers
représentée par les eaux, les montagnes
et le ciel. C’est notamment le
cas dans les oeuvres cosmiques de
Hodler. Chez Pietro Sarto, terre, ciel
et lac sont renversés et semblent se
confondre en un tout. On remarquera
aussi un exceptionnel
ensemble de huit aquarelles vaporeuses
de Turner, parfois à la limite
de l’abstraction, prêtées par la Tate
Gallery de Londres. Les artistes
contemporains ne sont pas oubliés :
une vidéo de Caroline Bachmann et
Stefan Banz montre les altérations
de la lumière sur le Léman, qui
concourent à sa magie.

Le versant mélancolique du lac

L’originalité de cette exposition est
d’avoir mis en avant le fait que le
Léman a aussi son côté mélancolique,
voire tragique, bien loin de
l’image stéréotypée qu’en donne par
exemple une affiche touristique
centenaire pour l’hôtel Bellevue à
Chardonne. Dominique Radrizzani
a fait une découverte étonnante : la
construction fortifiée que l’on peut
voir en toile de fond du célèbre
burin de Albrecht Dürer, Melancolia
I
(1514) serait le château de Chillon !
De cette hypothèse procède
une autre approche de ce lac
mythique, qui justifie le titre de l’exposition,
« Lemancolia ». La seconde
partie de l’exposition s’attache donc
à cette face plus sombre. Gustave
Courbet, qui vit à La Tour-de-Peilz
l’exil amer imposé par sa participation
à la Commune de Paris, voit
dans le lac une véritable mer. Sa
puissante Vague sur le Léman, sous
un ciel de plomb, n’est pas sans rappeler
une autre Vague inspirée par
ses séjours en Normandie. Quant à
Félix Vallotton, il montre dans Plage
de Bellerive
(1898) un enfant qui
semble sortir terrorisé de l’eau : souvenir
explicite d’un épisode où le
peintre, alors enfant lui aussi, faillit
se noyer. Mais le plus inattendu de
l’exposition, ce sont ces planches
originales de L’affaire Tournesol, où
le dessinateur Hergé précipite la
voiture de Tintin dans le lac. Dans
sa série Mélancolie, Frédéric Pajak
réinterprète Hergé pour raconter,
avec beaucoup d’émotion, sa propre
tragédie familiale : la mort du père
dans un accident d’auto lancée à
160km/h, le suicide d’un cousin.

Une rétrospective de l’oeuvre
de Kokoschka

Le peintre Kokoschka, qui a habité à
Villeneuve de 1953 à 1980, s’est lui
aussi attaqué au thème du Léman,
dans l’une de ses vues panoramiques
exécutées avec un coup de
pinceau nerveux, proche de la facture
des Expressionnistes. Ce qui
permet de faire la jonction avec
l’autre exposition présentée par le
Musée Jenisch, et consacrée aux 25
ans de la Fondation Oskar Kokoschka.
Un choix signifiant de
tableaux retrace l’ensemble de la
carrière et les différentes thématiques
du grand artiste austro-hongrois :
villes, portraits et autoportraits,
peinture catholique ou orientaliste,
natures mortes… La peinture
est donc à l’honneur à Vevey
pendant l’été et l’automne !


« Melancolia. Traité artistique du Léman »,
jusqu’au 13 octobre et « Chefs-d’oeuvre de
la Fondation Oskar Kokoschka », jusqu’au
17 novembre, Musée Jenisch, Vevey.


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Félix Vallotton, « Plage de Bellerive à Ouchy », 1898. (Photo Bettina Jacot-Descombes / Musée d’Art et d’Histoire, Ville de Genève)