Le Musée des Beaux-Arts de Berne consacre une grande exposition au symbolisme dans l’art en Suisse.
Le symbolisme est né dans les
années 1880-1890. Il a trouvé
son berceau en Belgique. Il est
parti de la littérature avec Huysmans,
Maeterlinck et Verhaeren,
Verlaine et Mallarmé en France. Il a
touché tous les arts, dissolvant les
frontières entre eux, comme le voulait
Baudelaire dans son fameux
poème Correspondances. La peinture
avec Gauguin, Puvis de Chavannes,
Maurice Denis, Odilon Redon, Gustav
Klimt, Ferdinand Hodler et
Arnold Böcklin, pour ne citer que
quelques noms. La musique avec
Gabriel Fauré, Gustav Mahler,
Claude Debussy, Erik Satie ou
encore Eugène Lekeu. Comment
définir ce mouvement artistique
complexe, aux frontières mal définies ?
Il est d’abord un refus du
monde contemporain de l’ère industrielle
et technique, perçu comme
sale, mesquin, vulgaire. Le symbolisme
rejette le rationalisme profane
et le matérialisme. Sur le plan pictural,
il est aux antipodes de Courbet,
qui ne voulait représenter que « des
choses réelles et existantes », et qui
affirmait : « Un objet abstrait non
visible, non existant n’est pas du
domaine de la peinture. » Les motsclefs
du symbolisme seront donc :
âme, rêve, mystère, visions, interrogations
existentielles, spiritualisme,
mysticisme… Fait exceptionnel, c’est
le seul courant artistique international
dont des artistes suisses ont pris
la tête. Il était donc légitime qu’une
grande exposition, regroupant 200
oeuvres, leur soit consacrée. Elle a été
mise sur pied par l’historienne genevoise
Valentina Anker, spécialiste de
ce mouvement et auteur du livre Le
Symbolisme suisse. Destins croisés
avec l’art européen, paru en 2009.
L’exposition est divisée en dixsept
parties thématiques. Dès la première
salle, consacrée à la profondeur
nocturne, le génie de Ferdinand
Hodler domine, non seulement
par la puissance qui se dégage
de ses toiles, mais aussi parce que le
Musée d’art de Berne possède un
fonds particulièrement important de
ses oeuvres. Dans sa Nuit, l’harmonie
des corps qui reposent, dans le sommeil,
parallèles et horizontaux, est
cassée par une figure couverte de
noir, accroupie sur le personnage
central au regard terrifié : est-ce un
cauchemar ? est-ce la Mort ? Dans
une autre toile monumentale, L’Elu
(Hector, le fils du peintre) est protégé
par des génies ailés dont le
parallélisme fait songer à l’art byzantin.
Parfois, la symbolique est explicite,
comme dans Ruines en bord de
mer d’Arnold Böcklin, où cyprès et
corbeaux semblent annoncer le malheur.
La femme, fatale ou angélique,
souvent silencieuse et glaciale, est un
autre thème important du symbolisme.
Dans La Vague de Carlos
Schwabe (judicieusement choisie
pour l’affiche de l’exposition), des
femmes prophétiques annoncent par
un hurlement hystérique la violence
des temps futurs. « La Nature est un
temple où de vivants piliers / Laissent
parfois sortir de confuses
paroles ; / L’homme y passe à travers
des forêts de symboles », écrivait
Baudelaire. Elle unit musique, parfums
et sensations visuelles. On
remarquera particulièrement les
toiles lumineuses du Grison Giovanni
Segantini, et Les Feuilles
mortes d’Ernest Biéler, où un tourbillon
automnal entraîne des
femmes nues couvertes de voiles,
telles des prêtresses antiques. La
montagne du Niesen, près du lac de
Thoune, a toujours fasciné les
peintres par sa forme de triangle
parfait, pouvant suggérer les pyramides
égyptiennes ou la symbolique
maçonnique. Avec Arnold Böcklin,
on touche au fantastique : dans Le
Calme de la mer, une sirène érotique
côtoie un triton et un serpent-dragon.
Le mouvement symboliste est
aussi une réflexion sur le paradis
perdu, où l’homme vivait dans un
état édénique : ainsi, Cuno Amiet
évoque le pommier aux éclatants
fruits rouges, Adam et Eve et la
pomme fatale. La violence est elle
aussi présente, par exemple chez
Hans von Stuck qui a peint une
scène de la Walkyrie de Wagner.
Enfin le thème de la mort occupe
une grande place chez les symbolistes.
Le charpentier de Hodler
lance Un regard vers l’éternité. Les
Funérailles blanches d’Eduardo Berta
sont conduites, dans la neige, par des
femmes vêtues de voiles blancs.
Toute une esthétique que l’on retrouvera
notamment dans le décor des
crématoires, comme celui de La
Chaux-de-Fonds.
Médiums, hypnose, spiritualisme,
mysticisme, ésotérisme et occultisme
L’une des parties les plus intéressantes
de l’exposition est celle consacrée
à des artistes aux limites de la
folie. La médium Hélène Smith réalise
des oeuvres selon la dictée divine
et martienne. Son oeuvre, qui fait
penser aux dessins dans Nadja de
Breton, fascinera les surréalistes.
Quant à Magdeleine G., illustrée par
de troublantes photos, elle danse
sous hypnose, parfois en présence
des compositeurs César Franck ou
Claude Debussy. Musique et mouvement
corporel trouvent leur accord
parfait chez les symbolistes. Dans
plusieurs toiles, Hodler traduit les
théories énoncées par Emile Jaques-
Dalcroze, qui reposent sur L’Eurythmie,
c’est-à-dire le « rythme heureux
» qui rend le corps joyeux. Dans
le même esprit, au début du XXe
siècle, les fervents végétaliens de la
colonie de Monte Verità, près d’Ascona,
se livraient, nus, à des mouvements
rythmiques en cadence, avec
un esprit religieux. Leur mode de
vie… et leurs barbes fournies
annoncent le mouvement hippie des
années 1960 ! Toujours dans cette
veine spiritualiste, voire mystique,
l’exposition fait une place au Goetheanum
de l’anthroposophe Rudolf
Steiner (1861-1925), ce bâtiment
dans les environs de Bâle qui récuse
l’angle droit agressif et où tout n’est
que lignes courbes. C’est avec le
mouvement de la Rose+Croix, né
vers 1890, que l’occultisme symboliste
trouve son expression extrême.
Son premier Salon pictural réunit,
parmi de nombreux artistes, Eugène
Grasset, Hodler et Félix Vallotton.
Tandis qu’Erik Satie compose pour
les Rose+Croix ses Sonneries. L’exposition
bernoise, à travers des
toiles très significatives, mais aussi
des photographies et des enregistrements
musicaux, présente donc un
vaste panorama du symbolisme,
cette mise en valeur du mystère,
cette exaltation de l’irrationnel qui
eut un si grand retentissement au
tournant des XIXe et XXe siècles.
« Mythes et mystères. Le symbolisme et les
artistes suisses », Berne, Musée des Beaux-
Arts, jusqu’au 18 août.