La cité lémanique de France voisine consacre une riche exposition au grand poète surréaliste et communiste.
Le traditionnel tour en bateau printanier
vers Evian peut s’accompagner
d’une visite fort intéressante.
L’exposition « Paul Eluard poésie amour
et liberté » se tient au Palais Lumière,
autrefois établissement thermal aux
superbes verrières Art nouveau, dévolu
depuis 2006 à des manifestations culturelles.
Elle s’appuie essentiellement sur
l’importante donation que le poète fit
en 1952 à sa ville natale de Saint-Denis.
Sans doute n’est-il pas aisé de rendre
vivante une exposition dédiée à un
homme de l’écrit. Celle d’Evian y réussit,
en illustrant la vie, l’oeuvre et l’engagement
politique du poète par un vaste
ensemble de photographies, peintures,
statues, dessins, livres, manuscrits,
meubles (dont la reconstitution de son
bureau), objets divers, avec des accompagnements
sonores, notamment de
chants d’Eluard mis en musique par
Francis Poulenc. Le visiteur qui n’est
pas un spécialiste d’Eluard aura intérêt
à visionner d’abord le film vidéo de 50
minutes qui retrace son parcours, avec
des lectures de ses poèmes.
Eugène Emile Paul Grindel naît en
1895. Il s’affranchit doublement de sa
famille « bourgeoise ». D’abord par son
coup de foudre, dans un sanatorium
suisse en 1917, pour Héléna Diakonova,
qui deviendra la fameuse Gala,
le grand amour et la principale inspiratrice
du poète, avant de passer dans
les bras de Salvador Dali dont elle sera
également la muse. La seconde rupture
intervient avec le choix de son
pseudonyme, Paul Eluard : « Vous êtes
Paul Elu de l’Art », disait Valéry. Le
jeune poète reprend d’abord à son
compte l’esprit de dérision et l’ironie
du mouvement Dada. Puis il adhère
au Surréalisme, auquel l’exposition
consacre à juste titre une place importante,
en présentant le cercle d’amis
qui réunit Aragon, Breton, Cocteau,
Alberto Giacometti, Hans Arp, le photographe
Man Ray et bien d’autres. On
relèvera en particulier des tableaux de
Chirico, de Max Ernst et de Picasso,
qui deviendra le meilleur ami du
poète. L’exposition présente quelques
exemples de Cadavres exquis, ce jeu
littéraire puis artistique auquel se prêtaient
les surréalistes, en partant de
l’idée que l’Art naît du hasard et du
choc de réalités antinomiques : plusieurs
personnes – par exemple Nusch
Eluard, la seconde épouse, le dadaïste
Tristan Tzara ou Yves Tanguy – continuent
le dessin de leur prédécesseur,
qu’ils ne voient pas parce que la feuille
a été préalablement pliée. C’est le
panorama de toute une époque d’intense
création artistique qui est présenté
à Evian, avec un exemplaire du
Minotaure édité par Albert Skira, ou
encore les photos de « Nusch » (Nus)
faites par Man Ray, qui montrent par
ailleurs le côté voyeur d’Eluard dans
ses relations amoureuses, lui qui était
un grand admirateur de Sade. L’exposition
illustre fort bien un pan
méconnu de la personnalité d’Eluard :
à la suite de Guillaume Apollinaire, il
s’intéresse aux arts primitifs, aux « Bois
nègres » et aux statuettes océaniennes,
dont il acquiert une impressionnante
collection, qu’il devra cependant
vendre pour financer ses séjours en
sanatoriums pour tuberculeux.
L’engagement communiste
et le poète de l’amour
L’année 1926 constitue un tournant.
Pour réaliser la Révolution, autre versant
du mouvement surréaliste, Breton,
Aragon et Eluard décident d’adhérer
au PCF. Le premier en sortira
pour se rapprocher de Trotski. Mais
c’est surtout la guerre d’Espagne qui
accentuera son engagement militant,
aux côtés de Picasso. Un poème
d’Eluard accompagne ce cri pictural
qu’est la grande toile Guernica. Pendant
l’Occupation, l’écrivain compose
en 1941 son célébrissime poème
Liberté (« Sur mes cahiers d’écolier /
Sur mon pupitre et les arbres / Sur le
sable sur la neige / J’écris ton nom »).
Ce texte d’anthologie sera lancé par
milliers d’exemplaires sur la France
par les avions de la RAF. Il est décliné
dans l’exposition sous la forme d’éditions
diverses, de dessins de Fernand
Léger, de tapisseries dans le goût de
Lurçat. Il fera de Paul Eluard LE poète
de la Résistance, un vêtement sans
doute trop large pour lui… Dans ses
dernières années, Eluard et Picasso
(avec sa fameuse colombe) seront
quelque peu instrumentalisés par le
PCF stalinien et le Mouvement mondial
de la Paix.
Reste l’immense poète de la
Femme, qu’il a célébrée par les vers
d’amour les plus beaux de la langue
française : « Je fête l’essentiel je fête ta
présence (…) Toi première et dernière
tu n’as pas vieilli / Et pour illuminer
mon amour et ma vie / Tu conserves
ton coeur de belle femme nue. »
« Paul Eluard. Poésie, amour et liberté », Palais Lumière, Evian-les-Bains, jusqu’au 26 mai 2013,
de 10h à 19h tous les jours sauf le lundi de 14h à 19h.