Ken Follett consacre une vaste trilogie au XXème siècle.
Ecrivain prolixe et à succès, Ken Follett doit notamment sa célébrité à son roman Les Piliers de la Terre, qui évoque les durs rapports féodaux dans l’Angleterre médiévale, mais aussi la grande aventure de la construction des cathédrales. Il vient de consacrer à l’histoire du XXe siècle une énorme fresque, dont les deux premiers tomes ont déjà paru. Sur le plan littéraire (mais sans s’attacher ici aux qualités spécifiques d’écriture), on peut discerner des parentés avec Guerre et Paix de Tolstoï, Les Thibault de Roger Martin du Gard, le cycle romanesque du Monde réel d’Aragon ou encore, plus proche de nous, la vaste saga du Norvégien Gunnar Staalesen consacrée à sa ville de Bergen. Le grand roman de Ken Follett met en scène plusieurs familles ayant des liens entre elles, tant en Grande-Bretagne que dans la Russie tsariste puis bolchevique, en Allemagne et aux Etats-Unis. Des figures historiques – le roi Georges V, le général Gallieni, les présidents Wilson et Roosevelt, Léon Trotski et Joseph Staline, le ministre britannique Ernest Bevin, le savant atomiste Julius Oppenheimer… – côtoient des dizaines de personnages de fiction. Ceux-ci, loin d’être des marionnettes porteuses de thèses, un défaut auquel succombe souvent le roman historique, ont une véritable présence. Sans doute certains « hasards » qui les font se rencontrer sont-ils quelque peu parachutés, et on frise parfois l’invraisemblance. Mais l’on s’attache à ces personnages de chair et de sang, particulièrement aux belles figures féminines, telles la militante féministe du Labour Party Ethel Williams, ou la courageuse résistante antinazie Carla von Ulrich. Disons-le d’emblée : le point de vue sur le monde de Ken Follett est clairement travailliste, et témoigne de peu de sympathie envers le communisme. Il s’attache par exemple à montrer les progrès sociaux qui suivent la victoire de Clement Attlee aux élections anglaises de 1945. Tout commence dans les tristes paysages industriels du Pays de Galles, dont l’auteur est issu. Les rapports socio-économiques, entre d’une part la gentry des propriétaires terriens avec leur morgue aristocratique, d’autre part le milieu des mineurs de charbon conjuguant luttes ouvrières et religiosité évangélique, sont particulièrement bien décrits.
Des scènes d’anthologie
Le roman comporte quelques séquences presque « cinématographiques », véritables morceaux de bravoure littéraire ! A travers les yeux des personnages, le lecteur vit de l’intérieur le carnage du Dimanche Rouge de Saint-Pétersbourg en 1905, les terribles batailles de la Somme en 1916, les manœuvres d’intimidation des bandes de « chemises brunes » avinées dans le Berlin de 1933, le Blitz vécu par une ambulancière dans Londres mis à feu par les bombes de la Luftwaffe, l’échec de l’offensive allemande devant Moscou pendant le glacial hiver 1941, l’attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbor en décembre de la même année, la misère dans Berlin en ruines en 1945, ou encore la préparation ultra-secrète de la bombe atomique américaine par l’équipe d’Enrico Fermi, sous l’œil suspicieux du FBI. Mais, loin de se contenter de décrire des scènes spectaculaires, Ken Follett nous fait entrer dans les arcanes de la diplomatie secrète : ainsi les débats au sein du gouvernement britannique, ou dans l’entourage du président Wilson, sur l’entrée en guerre ou non. Le roman présente aussi des situations historiques moins connues, comme le bref mais inquiétant succès du Parti fasciste anglais conduit par Oswald Mosley, avant sa rapide déconfiture. L’atmosphère dans l’URSS stalinienne – où la survivance d’authentiques idéaux révolutionnaires coexiste avec la froide terreur imposée par la police secrète – nous paraît également rendue avec beaucoup de réalisme. Il en va de même pour l’évocation des groupes de résistance anti-hitlérienne, qui s’exposent à une impitoyable répression. Certaines scènes du roman sont quasi insoutenables, à l’image de l’assassinat de cet homosexuel allemand « dégénéré », dévoré par des chiens dans un camp de détention, sous l’œil de SA hilares. Mais l’œuvre est à l’image de la vie : amours heureuses et contrariées, sexualité souvent assez crue, filiations cachées, futilités dans le monde des possédants et combats sociaux dans les classes populaires, morts et naissances, moments de désespoir et de bonheur, larmes et humour alternent, dans cette passionnante évocation d’un siècle tragique. Le deuxième tome s’achève en 1949, en pleine guerre froide, alors que la première bombe atomique russe explose, en réplique à celles d’Hiroshima et Nagasaki. Le lecteur qui a dévoré les deux premiers tomes de cette immense saga attend avec impatience la parution du troisième volume de la trilogie !
Ken Follett, Le Siècle, tome 1 La Chute des géants, tome 2 L’hiver du monde, éd. Robert Laffont et Livre de Poche.