Le Musée des Beaux-Arts de Lausanne met en évidence les parentés entre Félix Vallotton et Alex Katz.
On ne présente plus le Vaudois
Félix Vallotton (1865-1925), le
« nabi étranger », naturalisé
français en 1900. Quant à l’Américain
Alex Katz, né à New York en
1927, il est en revanche beaucoup
moins connu en Suisse. Les deux
hommes ne se sont bien sûr pas fréquentés,
et le second ne se revendique
nullement du premier. Bernard
Fibicher, directeur du MBA, est
néanmoins convaincu de la proximité
et des similitudes entre leurs
oeuvres respectives. Il a donc tenu à
les mettre en résonance. L’entreprise,
avec ce qu’elle pouvait avoir d’artificiel
et de forcé, n’a pas convaincu
tous les critiques. Certains ont
même exprimé un « malaise ». Abordant
l’exposition avec quelques
réserves initiales, nous avons personnellement
adhéré à la pertinence
du propos. Les parentés entre Vallotton
et Katz sont en effet étrangement
frappantes. Elles sont perceptibles
dès la première salle, avec deux autoportraits
parallèles, de trois-quarts,
aux regards distants, voire fuyants.
Puis ce sont des paysages eux aussi
assez proches, où s’imposent des
verts crus, avec l’ombre portée des
arbres. On trouvera une autre
parenté entre les deux créateurs dans
les lumières orange de leurs couchers
de soleil. Les sunsets de Katz se
répandent sur les lacs du Maine, où
les formes nettes des pins font songer
aux estampes japonaises. Proximité
encore dans ces champs
constellés de fleurs jaunes. Parfois
même, on pourrait prendre l’un des
artistes pour l’autre ! Ainsi de ces
Bateaux à Nice de Vallotton, où l’on
trouve, comme dans les toiles monumentales
de Katz, le moucheté sur
les flots qui confère à l’eau son frémissement,
son scintillement. Quant
à leurs nus aux poses souvent improbables,
aux corps quelque peu distordus
(qui ne sont pas loin de rappeler
Egon Schiele), ils attestent le
même statisme, le même style froid,
le cool style qui caractérise aussi les
Américains Rothko et Pollock.
Enfin, ces nus sont redevables à la
« ligne claire » d’Ingres, que les deux
artistes admirent.
Une représentation de l’Amérique
standardisée ?
On ne saurait cependant réduire les
deux peintres l’un à l’autre, ni les
confondre. Tout un pan du travail
d’Alex Katz échappe à la comparaison.
Notamment son adhésion partielle au
pop art et à l’hyperréalisme d’un Andy
Warhol. C’est particulièrement perceptible
dans ses grandes toiles (Katz aime
à travailler dans le gigantisme !) représentant
des figures féminines sans profondeur
de champ, aseptisées, aux
regards vides et aux lèvres pulpeuses,
qui semblent sortir des revues de
mode, des panneaux publicitaires bordant
les autoroutes, ou encore des
séries télévisées. Et l’on songe à cette
autre image de l’Amérique ordinaire
que donne Edward Hopper, qui fut à
l’honneur dans une récente exposition
à l’Hermitage.
Au visiteur qui n’adhérerait pas à ce
projet de confrontation certes discutable
entre deux artistes d’époques différentes
et malgré tout étrangers l’un à
l’autre, il est loisible de venir simplement
contempler de belles oeuvres. De
Félix Vallotton, il pourra voir des toiles
exceptionnelles, comme cette mer à
Honfleur à marée basse, ou ces couchers
de soleil somptueux, quasi mystiques,
connotés par la couleur violette
chère à Rimbaud. N’oublions pas que
le Musée des Beaux-Arts de Lausanne,
avec plus de 500 oeuvres, possède le
plus important fonds Vallotton au
monde. Il sera l’un des principaux prêteurs
de la grande exposition consacrée
à cet artiste, à l’automne 2013 au
Musée d’Orsay. La comparaison Katz-
Vallotton est donc à la fois une invitation
à la découverte et une mise en
valeur d’un patrimoine pictural.
« Peinture. Alex Katz et Félix Vallotton »,
Lausanne, MBA jusqu’au 9 juin.