La Fondation Gianadda nous invite à la découverte d’un artiste résolument original, autodidacte rescapé des camps nazis.
Sam Szafran est connu pour
être le peintre des escaliers. Il
a fait de cet élément architectural,
qui peut paraître en soi banal,
un thème central de son oeuvre.
Chaque fois que nous voyons l’un
de ses escaliers hélicoïdaux qui
provoquent chez le spectateur vertige
et angoisse, nous songeons à
Franz Kafka, et plus particulièrement
au film Le Procès qu’Orson
Welles a tiré de l’inquiétant roman
éponyme. Or notre impression subjective
s’est vue corroborée par
l’éclairante vidéo qui accompagne
l’exposition de Martigny. On y
apprend que Szafran s’est inspiré
d’oeuvres cinématographiques, en
particulier de thrillers comme Suspicion
et Vertigo de Hitchcock.
Mais sans doute pourrait-on trouver
entre le peintre et l’écrivain praguois
d’autres parentés : ainsi, tous
deux sont issus de familles juives
de l’Est européen, quand bien
même le premier se veut totalement
parisien et « anarchiste Communard
». Sam Szafran a été marqué
par une enfance et une jeunesse
tragiques. Traqué par la
Milice et les SS sous l’Occupation,
il est arrêté par deux fois. C’est un
miraculé du Vél’ d’Hiv et d’un
convoi vers Auschwitz, où périra
une grande partie de sa famille.
Après la guerre, il devient un
enfant des rues, presque une
« petite frappe », et survit grâce à
divers boulots. Picturalement, c’est
un autodidacte. L’exposition s’ouvre
(est-ce fortuit ?) par une représentation
du Golem, cette figure emblématique
des légendes juives praguoises.
Puis l’on peut voir des animaux
et des légumineuses mi-figuratifs
mi-fabuleux. Rhinocéros ou
simples choux (mais déjà en état de
décomposition) expriment un univers
intérieur sombre, presque
glauque. Mais, de ces traumatismes
vécus dans l’enfance et l’adolescence
va naître peu à peu un ordre
qui les sublime. « A partir de cette
catastrophe quotidienne, une
ordonnance s’est imposée »,
confirme Daniel Marchesseau,
commissaire de l’exposition.
Un maître contemporain du pastel
Dans la série des Ateliers, Szafran
évoque son environnement artistique,
où trônent des centaines de
boîtes de pastels, dont les 1’600
craies de tons différents sont alignées
et peintes avec une méticulosité
presque obsessionnelle. Sur le
plan technique en effet, ce peintre a
redonné vie au pastel sec, dont
l’usage s’était quelque peu perdu.
Mais rarement le pastel avait été
utilisé dans des tableaux de format
aussi grand, et avec une telle précision
dans la représentation des
détails, frisant parfois l’hyperréalisme.
On est loin des flous et du
velouté d’un Degas ou d’un Odilon
Redon ! Les Ateliers sont intéressants
aussi par la restitution d’un
univers semi-industriel, et l’on sent
que l’artiste est fasciné par les
presses lithographiques, leurs rouleaux
encreurs, leurs engrenages.
Par ailleurs, Szafran témoigne
d’une maîtrise ébouriffante dans le
traitement des perspectives à la
Piranese, et des jeux d’ombre et de
lumière.
Après les animaux et les légumineuses,
les escaliers, les ateliers
déclinés dans toutes sortes de
points de vue, une quatrième série
récurrente est celle des végétaux, en
particulier des philodendrons qui
envahissent le lieu de travail de
Sam Szafran. Voici un foisonnement
de feuillages et de lianes
enchevêtrés, occupant presque tout
l’espace des toiles, mais un foisonnement
ordonné, organisé, témoignant
d’une patience presque
maniaque dans leur réalisation.
Comme dans tout l’oeuvre peint de
Szafran, l’être humain, représenté
en petit format, et non sans étrangeté,
y est comme perdu. Si l’influence
de l’art japonais est perceptible
dans le tracé de certains
feuillages, et symboliquement indiquée
par la présence d’un vase de
céramique ou de Lilette, l’épouse
jurassienne du peintre, vêtue d’un
ikat (sorte de peignoir tissé) nippon,
l’oeuvre de Sam Szafran n’est
réductible à aucune école, comparable
à aucun autre univers pictural.
Notons enfin que deux céramiques
géantes, reproduisant des
travaux de l’artiste, ornent le
Pavillon Szafran, dans les jardins de
la Fondation, et témoignent de
l’amitié profonde qui le lie à Léonard
Gianadda. Le très vivant
espace culturel de Martigny nous
convie donc à une véritable découverte,
qui interpelle le visiteur.
« Sam Szafran. 50 ans de peinture », Fondation
Gianadda, Martigny, jusqu’au 16
juin.