Le musée lausannois présente une éblouissante exposition thématique sur la fenêtre et l’art de la perspective.
La fenêtre est un thème majeur dans l’art depuis la Renaissance, où elle est liée à l’étude de la perspective (du latin perspicere, voir au travers). On le perçoit parfaitement dans un tableau de Pieter de Hooch, le maître des intérieurs hollandais aux chambres en enfilade jusqu’à un point de fuite. La fenêtre permet au peintre de cadrer un paysage (mer, quartier de ville, jardin, montagnes…) C’est le cas dans deux très belles vues d’Albert Marquet sur l’île de la Cité et Notre-Dame à différentes saisons. Elle marque la séparation de l’intérieur avec l’extérieur : en témoigne ce tableau d’un anonyme du XIXe siècle où un chat guette avidement un chardonneret… inaccessible. Ou encore, la fenêtre laisse pénétrer la lumière extérieure qui nimbe les personnages, comme ce Saint Jérôme gravé par Dürer. Le fait de se tenir à sa fenêtre n’incline-t-il pas à la méditation ? Ainsi la reine Hortense en 1813 regardant au loin, pensive, le lac du Bourget. Ce n’est pas un hasard si, à l’époque romantique surtout, les femmes sont souvent représentées ainsi, mélancoliques face à leur vie inassouvie et leur destin inaccompli. Mais on peut aussi, penché à sa fenêtre, prendre du bon temps, comme en témoigne, au XVIIe siècle, ce fumeur de pipe néerlandais de Adriaen van Ostade. Ou encore, grâce à la lumière qu’elle procure, vaquer à de paisibles occupations : ce sont les femmes à la couture d’Edouard Vuillard ou du Danois Vilhelm Hammershøi. La présence d’artistes scandinaves, plus rarement exposés, constitue par ailleurs l’un des intérêts de cette exposition. Chez le même Hammershøi, l’extérieur et l’intérieur en viennent à se confondre, dans l’étrange Figures près de la fenêtre (vers 1895), où la lumière blafarde d’un ciel nordique gris envahit la pièce. Mais plus souvent, l’intérieur, lieu de l’intimité, et l’extérieur, espace public, s’opposent. Un pot de fleurs, un livre, un châle négligemment posés sur l’appui de la fenêtre renforcent le contraste dialectique entre le dedans et le dehors. Cette thématique est particulièrement importante chez Bonnard, Vuillard, ou encore chez le Vaudois Marius Borgeaud, peintres d’intérieurs par excellence, qui cependant ménagent toujours une ouverture sur la nature. Elle est présente aussi dans l’une des versions du Baiser d’Edvard Munch : la fenêtre instaure un contraste entre le couple enlacé à l’intérieur, image de vie, et à l’extérieur un cyprès, l’arbre des cimetières. Le surréaliste René Magritte insiste sur cette opposition en encadrant par deux rideaux « de théâtre » un étrange paysage. Une opposition qui, pourtant, n’est pas totale : dans la toile Nice, cahier noir exécutée par Matisse en 1918, on sent presque les embruns de la Méditerranée pénétrer dans la chambre. Claude Monet surprend, quant à lui, en peignant son fils Jean à contre-jour, sur un fond de fenêtre. C’est dire la multiplicité des rôles que joue la fenêtre, de ses utilisations par les artistes, et des significations qu’elle revêt.
Dans l’art contemporain,
la fenêtre devient sujet en soi
Un autre surréaliste, Paul Delvaux, rompt la logique et la « normalité » en plaçant un parquet et un personnage à l’extérieur de la fenêtre. Celle-ci a contribué aussi au passage au cubisme de Mondrian. Mais surtout, dans l’art contemporain, la fenêtre devient sujet en soi, autonome. Marcel Duchamp la représente en trois dimensions, mais avec des vitres noires, c’est-à-dire fermée sur le monde. Dans La maison nocturne de Magritte ressortent surtout une série de fenêtres uniformément illuminées. On relèvera encore les travaux de l’Américain Ellsworth Kelly qui, en 1949 à Paris, s’intéresse aux structures mêmes de la fenêtre. Au sous-sol, l’exposition s’ouvre à la photographie et à la vidéo. L’appareil photographique, mais aussi Windows, l’écran de l’ordinateur ou du smartphone ne sont-ils pas autant de fenêtres qui nous connectent au monde ?
A la visite de cette exposition thématique très bien pensée, qui rassemble quelque 150 pièces provenant tant d’institutions publiques que de collections privées, le plaisir des visiteurs (ils sont nombreux !) est redoublé par le florilège de chefs-d’œuvre qu’elle contient. Avec des surprises, comme cet étonnant Vuillard « tachiste », ou La terrasse ensoleillée, un Bonnard tout en largeur, aux dimensions inusitées (71 x 236 cm), à la limite de l’abstraction et éclatant de couleurs. Enfin, la villa Bugnion, qui abrite la Fondation, apparaît comme le lieu idéal pour accueillir une telle présentation, avec ses nombreuses fenêtres ouvertes sur un paysage enneigé et, au loin, la cathédrale de Lausanne. Une exposition à voir absolument !
« Fenêtres, de la Renaissance à nos jours : Dürer, Monet, Magritte… », Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 20 mai.