La capitale nordique propose une belle synthèse de l’œuvre du Maître de l’architecture moderne.
Le prestigieux Moderna Museet présente simultanément trois expositions : l’une est consacrée au dadaïste Marcel Duchamp et à Picasso, ces deux précurseurs de l’art contemporain ; la deuxième aux grandes et belles toiles méconnues, voire oubliées, de la Suédoise Hilma af Klimt (1862-1944), mystique et anthroposophe, dont l’œuvre chargée de significations philosophiques est proche de celles de Kandinsky, Malevitch ou Mondrian ; la troisième au grand architecte franco-suisse. Différente des expositions chaux-de-fonnières qui marquèrent en 2012 le 125e anniversaire de sa naissance dans la cité horlogère (notre édition 26 octobre 2012), plus ciblées, celle de Stockholm s’adresse à un large public de connaisseurs comme de non-connaisseurs. Le curateur en est Jean-Louis Cohen, spécialiste reconnu de Le Corbusier, et elle est soutenue par Pro Helvetia. Elle a le mérite de présenter une bonne synthèse de ses diverses activités, en dégageant leur interaction. Ainsi, par exemple, les maisons correspondant à l’Esprit nouveau requéraient dès les années 1920 un mobilier rationnel et confortable, dont le caractère avant-gardiste ne laisse pas de surprendre aujourd’hui encore. On peut voir aussi plusieurs des sculptures en bois, parfois polychromes, réalisées en 1946-47 par Joseph Savina sur la base des dessins de Le Corbusier. Quelques beaux tableaux montrent que ce dernier fut non seulement un architecte, mais encore un peintre de talent : à la rigueur géométrique et mécanique, à la veine futuriste et puriste qui le rapprochent de Fernand Léger, il ajoute une dimension poétique, conférée notamment par l’insertion, dans ses toiles, des objets (cailloux, galets, ossements, fossiles, morceaux de bois) ramassés sur les plages. Mais c’est bien sûr l’œuvre du théoricien et du constructeur qui intéresse au premier chef le (nombreux) public. On mesure par une série d’exemples le goût de Le Corbusier pour le dessin architectural. Plus parlantes encore sont les nombreuses maquettes exposées au Moderna Museet : autant de projets ambitieux, réalisés ou non. Certes, on frémit à l’idée que le Plan Voisin de 1925, qui aurait couvert le centre de Paris de hautes tours géométriques, aurait pu voir le jour ! Quant au Centrosoyuz à Moscou, le quartier général de l’Union centrale des coopératives de consommation, il a bien été construit à Moscou en 1936. Mais ce bâtiment, sans doute trop moderniste à ses yeux, déplut au vieux stalinien Lazare Kaganovitch, membre du Politburo. Le projet antérieur de l’architecte pour le Palais des Soviets (1931-32) avait été, lui, refusé. On sait que Le Corbusier n’hésitait pas à manger à tous les râteliers des régimes autoritaires, souvent promoteurs, il est vrai, d’ambitieux et audacieux grands travaux. Sous Vichy, il conçut un assez extraordinaire plan de développement d’Alger, resté lui aussi sur le papier. Si sa Cité radieuse de Marseille, qui devait contribuer à pallier les problèmes de logement d’une ville en partie détruite pendant la guerre, est archi-connue, on sait moins que l’architecte participa en 1933 à des plans de régénération du centre de Stockholm, cependant non retenus. Une dernière maquette, celle de la chapelle de Ronchamp, consacrée en 1955, permet d’observer l’évolution finale de Le Corbusier vers des formes plus rondes, organiques. Entre sculptures, peintures, meubles, dessins, maquettes, et le film promotionnel réalisé en 1930 par Pierre Chenal (Philippe James Cohen) montrant que « la maison est une machine à habiter », c’est donc une bonne vision d’ensemble de son travail que propose la capitale suédoise. Avec la remarquable collection d’œuvres de Tinguely et Nicki de Saint-Phalle ornant le parc situé près de l’entrée du musée, l’art suisse est vraiment bien représenté actuellement à Stockholm !
« Moment – Le Corbusier’s Secret Laboratory », Moderna Museet, Stockholm, jusqu’au 18 avril.