Valentins et Valentines

– Alors Huguette, tu vas tenir une chronique féministe dans Gauchebdo ? – Figure-toi qu’on est venu me chercher ! – Il y a des offres qu’on ne refuse pas… Et de quoi va parler ton premier article ? – Nous sommes à la veille de la Saint-Valentin… – Ne me dis pas que tu...

– Alors Huguette, tu vas tenir une chronique féministe dans Gauchebdo ?

– Figure-toi qu’on est venu me chercher !

– Il y a des offres qu’on ne refuse pas… Et de quoi va parler ton premier article ?

– Nous sommes à la veille de la Saint-Valentin…

– Ne me dis pas que tu vas aborder ce sujet ringard et commercial !

– Du calme ! C’est mon premier article, qui arrive à la St-Valentin, je ne voulais pas manquer l’occasion de parler d’amour dans ce monde de brutes… Il sera toujours temps d’aborder des sujets qui fâchent, comme la violence envers les femmes, sur laquelle je constitue un dossier. Et puis, c’est une très ancienne tradition.

– Bon, alors raconte…

– Comme souvent, cette fête a une origine païenne et a été récupérée par l’Eglise catholique. Selon les infos qu’on peut trouver sur Internet, Wikipédia et autres, l’association du milieu du mois de février avec l’amour et la fertilité date de l’Antiquité. En Grèce, cette période honorait le mariage de Zeus, dieu des dieux et grand séducteur, avec Héra, déesse du foyer, qui était très jalouse des conquêtes de son mari. Dans la Rome antique, le 14 février était nommé « les Lupercales », mot venant de « Lupercus », le dieu de la fertilité, qu’on représente vêtu de peaux de chèvre. Ses prêtres sacrifiaient des chèvres au dieu et, après avoir bu du vin, ils couraient dans les rues de Rome à moitié nus en touchant les passants avec des morceaux de peau de chèvre. On prétendait que ce contact rendait fertile et facilitait l’accouchement.

– Cela devait être divinement orgiaque !

– Il semble que le jour de la St-Valentin ait été longtemps l’occasion de former des couples. Les jeunes filles se cachaient autour de leur village et attendaient que les garçons célibataires les trouvent. A la fin de ce cache-cache géant se formaient des couples qui, le plus souvent, se mariaient dans l’année.

– Au fait, y a-t-il eu un saint qui s’appelait Valentin ?

– La tradition en nomme au moins trois. Leur fête a été fixée le 14 février par le pape Gelase Ier, aux alentours de 498. Le premier est Valentin de Terni (Italie). Né vers 175, il devient évêque à 22 ans. Il était particulièrement charmant : quand il bénissait un mariage, il remettait au couple une rose de son jardin. Le deuxième est Valentin de Rome. En 268, l’empereur Claude II, qui trouvait que le mariage ramollissait les hommes mariés, fit abolir le mariage.

– Vertubleu !

– Mais le prêtre Valentin acceptait de donner secrètement la bénédiction du mariage aux fiancés qui le lui demandaient. Cela se sut, naturellement, le prêtre fut donc arrêté, emprisonné et décapité (vers 270). Bien plus tard, Valentin de Rome fut canonisé pour s’être sacrifié au service de l’amour.

– Et le troisième ?

– Il est originaire de Rhétie (Allemagne) et a vécu au Ve siècle. C’est à peu près tout ce qu’on sait de lui. Mais comme il est représenté avec un enfant épileptique, on l’invoque souvent pour la guérison de l’épilepsie.

– Et l’amour, dans tout ça ?

– C’est au XIVe siècle, en Angleterre, qu’apparaît la connotation amoureuse car on pensait que le 14 février était le jour où les oiseaux s’appariaient. Othon de Grandson était un chevalier vaudois renommé pour sa bravoure durant la guerre de Cent Ans, il obtint le grade de capitaine à la cour d’Angleterre. Il était également un bon poète, et sa poésie, dont une partie est dédiée à cette tradition, le fit connaître dans le monde latin, notamment à la cour de Savoie. Au XVe siècle, Charles d’Orléans, après 25 années de captivité en Angleterre à la suite de la défaite d’Azincourt, en 1415, ramena cette tradition en France. Le jour de la St-Valentin, il envoyait toujours une Valentine à sa bien-aimée, Marie de Clèves.

– Une Valentine ?

– La « Valentine », ou message d’amitié, apparaît au Moyen Age. Au XVIIIe siècle, des Valentines, ornées de cœurs et de cupidons, gagnent toute l’Europe. Vers 1850, elles sont importées en Amérique où elles connaissent l’engouement ; enfin, et à la fin du XIXe siècle apparaissent les premières Valentines fabriquées industriellement. Aujourd’hui, dans le monde, plus d’un milliard de cartes sont échangées chaque année pour la St-Valentin, nombre qui a encore explosé avec Internet.

– D’où vient sa réputation de fête commerciale ?

– La Saint-Valentin est l’occasion d’aller au restaurant en amoureux, mais aussi d’offrir des fleurs, des chocolats, voire des bijoux.

– Merci pour ce tour historique. Mais tout ça n’est pas très féministe.

– Zut ! On peut être féministe et amoureuse, d’un homme ou d’une femme, d’ailleurs, l’amour ne connaît pas de frontière.