La Loi, concoctée par l’ancien député libéral, criminalise les organisateurs de manifestations.
La Suisse, la plus ancienne, la plus stable et la plus avancée démocratie du monde ? Ce mythe national pourrait s’éloigner encore un peu plus le 11 mars dans le canton de Genève. En effet, les citoyens sont appelés aux urnes pour se prononcer sur une modification de la Loi sur les manifestations, en réalité une loi contre les manifestations, liberticide, inique et profondément antidémocratique. Le Conseil d’Etat prétend, dans la brochure officielle, que cette loi ne vise qu’à « réduire les risques de débordements tout en permettant aux manifestants de continuer à faire usage de leur liberté de réunion garantie par l’article 22 de la Constitution fédérale ». C’est de la désinformation pure et simple. Car cette loi, issue d’un projet de loi libérale rédigé par le député et futur procureur général Olivier Jornot, vise objectivement à restreindre le droit de manifester au point d’en interdire de fait l’usage.
Une loi répressive, arbitraire et inique
La droite veut faire passer cette loi avec le slogan « qui casse paye ». C’est un mensonge. En fait, sous le prétexte d’éviter le risque de déprédations, la nouvelle loi prévoit des exigences et des sanctions disproportionnées, ouvrant la porte à tous les arbitraires, et ne pénalisant que les seuls organisateurs, mais pas les casseurs. Jugez plutôt. Les organisateurs se voient contraints de fournir un service d’ordre sous peine de voir leur responsabilité engagée. De plus, le Département de la police, de la sécurité et de l’environnement (DPSE) refuse (au lieu de « peut refuser » dans la loi actuelle) l’autorisation de manifester, si les risques de débordement sont « disproportionnés ». L’évaluation des risques est laissée au bon vouloir et à l’arbitraire total de la police, sans aucun critère objectif ni recours possible.
En cas de manifestation sans autorisation, ou de non-respect de la moindre disposition, même de la plus mineure, les organisateurs pourraient se voir condamner à une amende allant jusqu’à 100’000 francs (10’000 dans la loi actuelle). Une telle amende est capable de mettre un syndicat à genoux.
Pour finir, en cas d’atteinte grave aux personnes et aux biens, le DPSE peut refuser aux organisateurs toute nouvelle autorisation pendant une période allant de 1 à 5 ans, et ce même si les déprédations se sont produites sans qu’ils en soient responsables. Cette dernière disposition est particulièrement grave. Ces conditions sont restrictives au point de rendre quasi-impossible l’usage du droit de manifester.
Pour tenter de rendre acceptable cette loi aux yeux d’un peuple attaché à ses droits démocratiques, certains représentants de la droite et le Conseil d’Etat prétendent que les opposants auraient tort de s’inquiéter, car le DPSE aurait seulement la possibilité, et non l’obligation, d’utiliser les mesures citées ci-dessus. Il ne le ferait qu’en cas d’extrême nécessité, appliquant la loi avec souplesse et respect des droits démocratiques.
La pratique du Département, dans le cadre de loi actuelle, donne toutes les raisons de penser qu’en cas de « oui » en votation, l’application de la Loi sur les manifestations n’ira pas dans le sens de la souplesse et du respect des droits démocratiques, mais de l’arbitraire et de la criminalisation de tout mouvement social. Aujourd’hui, c’est déjà le cas. En effet, toute réunion d’au moins trois personnes s’exprimant sur le domaine public est considérée comme une « manifestation non autorisée », et à ce titre passible d’une amende. Ainsi, trois syndicalistes d’Unia distribuant un tract devant un restaurant ont écopé de 10 jours-amendes. Le syndicat SSP, qui a dépassé de 15 minutes l’autorisation lors d’une manifestation des grévistes de l’hôpital, a reçu une amende de 230 francs. Paolo Gilardi, un militant qui s’est entretenu avec des journalistes sur la Place de la Fusterie pour dénoncer l’UBS, a écopé d’une amende à la clef de 230 francs.
Un texte contraire à la Constitution fédérale
La Constitution fédérale garantit la liberté d’opinion et d’expression et les libertés de réunion et de manifestation. Quiconque assume une tâche de l’Etat est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation. Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou droit fondamental d’autrui et être proportionné au but visé. La Constitution stipule aussi que l’essence des droits fondamentaux est inviolable. Il n’est pas difficile de voir que nouvelle Loi sur les manifestations viole allégrement ces principes et ces droits, garantis par la Constitution fédérale et constitutifs d’une démocratie.
Par courrier adressé en janvier, le Parti Socialiste Genevois a demandé à l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) de donner un avis sur la loi. Il apparaît clairement dans la première réponse de l’OSCE/BIDH (Bureau pour les institutions démocratiques et les droits humains) que cette loi viole clairement trois principes définis par la Commission européenne pour la démocratie par le droit.
Ainsi, en aucun cas la tâche d’assurer la sécurité ne doit incomber aux organisateurs d’une manifestation, mais seulement à la police. De surcroît, les organisateurs ne devraient pas être tenus responsables pour les actions de tiers, et pour des déprédations auxquels ils n’ont eu aucune participation. Le contraire reviendrait à les mettre sous le coup du chantage de quiconque voudrait leur nuire.
Pour finir, imposer une interdiction de plusieurs années aux organisateurs pour des déprédations ayant eu lieu même sans leur faute reviendrait à une restriction indue. La Cour européenne des droits de l’homme s’est d’ailleurs prononcée dans ce sens.
Menaces rampantes sur la démocratie
Olivier Jornot était en 1990 l’attaché de presse du parti d’extrême droite Vigilance, dissous peu après cette date. Depuis, il est devenu libéral. Mais a-t-il renoncé à ses convictions politiques d’alors pour autant ? Le but poursuivi par le futur procureur général est limpide comme de l’eau de roche : criminaliser les idées de la gauche radicale, la contestation des classes populaires contre l’oppression capitaliste et la lutte pour une nouvelle société. Cette loi contre les manifestations restreint drastiquement, voire supprime les droits démocratiques afin de défendre les privilèges d’une infime oligarchie contre la juste contestation populaire, est typiquement celui de l’extrême droite.