Armand Magnin, un homme véritable

Hommage • Syndicaliste, député au Grand Conseil pendant près de 50 ans, conseiller national ou conseiller municipal à Carouge, l'ancien secrétaire national du Parti du Travail a été de tous les combats.

Syndicaliste, député au Grand Conseil pendant près de 50 ans, conseiller national ou conseiller
municipal à Carouge, l’ancien secrétaire national du Parti du Travail a été de tous les combats.

Armand Magnin nous a quittés, dans sa 92ème année. On s’y attendait, parce que depuis quelques mois, il avait refermé le livre de ses souvenirs et se taisait, considérant sans doute qu’il n’avait plus rien à dire. Il terminait paisiblement son existence à Carouge, à la maison de retraite des Pervenches, juste en face de l’école où près d’un siècle plus tôt, il apprenait à lire et à écrire.

L’immigré

Né à Hauteville, dans la campagne fribourgeoise, il déménage à Genève avec sa famille. Les parents reprennent un café à la rue Dancet, puis à Carouge. Il est toujours au contact des travailleurs, fidèles clients de l’établissement. Trois enfants : César, Laure et Armand. On a beau vivre à Genève, mais on garde toujours une attache sentimentale avec le pays fribourgeois. D’ailleurs, le Parti du Travail compte plusieurs Fribourgeois dans ses rangs, et toujours parmi les plus combatifs : Roger Dafflon, Laurent Allaman, Henri Trüb, et bien d’autres, tous aussi francs et fidèles compagnons.

Le sportif

Si les circonstances de la vie ne l’avaient pas entraîné vers la politique, Armand Magnin se serait épanoui dans le milieu sportif. Footballeur de talent, il joue à l’US Carouge et est de la première équipe lors qu’elle remporte la coupe suisse de football Satus. Il est champion suisse junior de tennis de table, s’entraînant chez Harry Marc avec le meilleur joueur du moment, Urchetti. Il joue au tennis et pratique le ski dans les Alpes valaisannes. Lorsque l’occasion se présente, il se met au golf, un sport qui le reporte au temps de l’enfance où, les week-ends, il était caddie pour se faire quelques pourboires. A 60 ans, il s’inscrit donc au golf de Bossey et après quelques semaines seulement, il réussit un coup fabuleux : à 150 mètres, il projette la balle directement dans le trou

Ce qui lui vaut d’être le seul communiste à être inscrit dans le marbre de la table des records de ce club bourgeois…

Le syndicaliste

Après une période de pré-apprentissage, Armand Magnin est engagé chez Similor à Carouge, entreprise spécialisée dans la robinetterie. Les ouvriers sont pour la plupart syndiqués et un beau jour, ils le désignent président de la commission ouvrière. A ce titre, il se retrouve face au patron, qui étant un client du café des parents, ne le prend pas trop au sérieux, jusqu’au jour où … Jusqu’au jour où on licencie un ancien ouvrier, père de trois enfants. Armand Magnin, qui est au service militaire, prétextant une histoire bidon, revient à l’usine et avec la commission ouvrière décide un arrêt de travail, événement qui ne s’est jamais produit dans l’entreprise. Trois jours plus tard, l’ouvrier est réintégré et le patron prend à sa charge le 50% des heures de grève. Depuis ce jour-là, le jeune président de la commission ouvrière est respecté dans l’entreprise Similor.
Déterminé, combatif, Armand est élu au Comité des métaux de la FOMH et en devient le président, poste qu’il occupe durant quelques années. A cette époque, Genève compte une vingtaine d’entreprises où travaillent entre 500 et 1’500 ouvriers.

Le parlementaire

Armand Magnin comprend assez rapidement que l’activité syndicale doit avoir un prolongement politique, d’autant plus que son frère César a été élu au Grand Conseil en 1933, soit l’année suivant les événements tragiques de 1932. Cet épisode l’a profondément marqué. L’armée a assassiné des simples citoyens pour protéger une bande de fasciste. Armand adhère au Parti du Travail dès sa fondation et est élu au Grand Conseil en 1945, une fonction qu’il occupe pendant 48 années. Armand Magnin est un brillant parlementaire, qui se bat à propos de toutes les questions sociales, fiscales, de logements avec conviction. Redoutable débatteur, il respecte son interlocuteur, privilégiant le débat d’idées aux invectives personnelles. Il est respecté de tous, même des adversaires politiques.
Habitant de Carouge, il est évidemment durant de longues années conseiller municipal, œuvrant avec succès pour l’élection de nos représentants au Conseil administratif : Maxime Chalut, Albert Felder, André Mahler et Jacqueline Willener.
Pendant 8 ans il fait le voyage de Berne pour mener le combat du Parti du Travail jusque sous la coupole fédérale.

Le dirigeant politique

Armand contribue avec une prodigieuse efficacité à toutes les campagnes politiques du parti. En raison de son activité de journaliste à la Voix Ouvrière, il a la plume facile, bien qu’on se crève les yeux à essayer de le relire. Il rédige les communiqués en quelques minutes, met au point les affiches et les tracts avec un esprit de synthèse indéniable et une écriture accessible à tous. Il est le secrétaire cantonal du parti dans les pires moments : difficultés à l’imprimerie, à la Voix Ouvrière, débats politiques interminables et usants au printemps de 1968, invasion de la Tchécoslovaquie, de l’Afghanistan, et dans les meilleurs moments, lorsqu’en pleine votation sur l’initiative Schwarzenbach contre la surpopulation étrangère le Parti du Travail de Genève accueille 20’000 communistes espagnols venus écouter Dolorès Ibaruri et Santiago Carillo, dans un dernier grand meeting avant la chute du gouvernement franquiste. Et puis l’accueil à la Kermesse populaire de Georges Marchais ou de Jacques Duclos, candidat à la présidence française

Armand Magnin est incontestablement un grand dirigeant de parti, toujours soucieux d’assurer une relève militante.

Le président de l’Avivo

Président de l’Avivo pendant cinq années, il a mené quatre grandes batailles et fait reculer le Conseil d’Etat et le Conseil administratif de la ville de Genève.
La première, c’est à propos des prestations complémentaires de la Ville versées aux personnes âgées. Le conseiller administratif radical Rossetti a décidé de les supprimer et espère obtenir l’aval du Conseil municipal. Par un froid de canard d’un samedi de décembre, 2’000 personnes âgées se rassemble à la rue de l’Hôtel-de-Ville. Armand Magnin, à la tête d’une délégation de retraités, l’œil farouche et la canne menaçante, est reçu par le Conseil administratif, qui annonce que les élus municipaux viennent à l’instant de réintroduire dans le budget les prestations municipales. Victoire totale. Aujourd’hui, l’histoire se répète : l’Avivo fait reculer le conseiller d’Etat radical Longchamp, lequel veut interdire aux communes genevoises de verser des prestations pécuniaires.
La seconde, c’est contre une véritable tentative de vol ! Alors que les rentes AVS sont augmentées de 5%, le Conseil d’État refuse d’indexer les prestations complémentaires, ce qui a pour conséquence la confiscation de l’augmentation de 5% à plus de 17’000 personnes âgées.

Rebelote ! A l’appel de l’Avivo, 2’000 personnes se retrouvent au Bourg de Four et se dirigent avec le trompette Georges Chappuis en tête vers l’Hôtel-de-Ville. Discours d’Armand Magnin et trois jours plus tard communiqué du Conseil d’Etat annonçant l’indexation des prestations complémentaires !

Deux autres importantes batailles sont gagnées par la suite, sous la présidence d’Armand Magnin : celle avec l’Alliance de Gauche contre le « paquet ficelé » de Micheline Calmy-Rey, à cette époque conseillère d’Etat, laquelle au passage qualifie l’Avivo et l’Alliance de Gauche de « fossoyeurs de la République ». Le peuple, à une très large majorité, écoute les « fossoyeurs » en refusant le projet d’augmentation d’impôt des retraités. Et celle contre la tentative de suppression du subside cantonal pour le paiement de la cotisation à l’assurance maladie pour des dizaines de milliers de retraités. Devant la mobilisation de 1’800 retraités, le projet a été retiré.

La cérémonie à Saint-Georges

Camarades, amis, sympathisants, représentants d’autres partis et d’organisations, ils étaient près de 200 à participer à la cérémonie à Saint-Georges où se sont exprimés le soussigné pour l’Avivo, Jean Spielmann pour le Parti du Travail et Marie Claude Ducret pour la famille de cœur d’Armand.

Nous garderons d’Armand Magnin le souvenir d’un homme désintéressé, fonceur, combatif, redoutable débatteur, d’un communiste, un vrai et non un doctrinaire, d’un être attachant aux sourcils en circonflexes qui soulignent le personnage soucieux qu’il était, passionnant et souvent passionné, surtout d’un ami et camarade que nous avons eu la chance infinie de connaître. On aurait encore tellement besoin de lui. Mais qu’il repose en paix. D’autres sont encore là, d’autres viendront encore pour poursuivre l’inlassable combat qu’il a mené pour la justice sociale, pour un monde plus solidaire et pour la paix.