Une recette faite de bénévolat et de convivialité

Lieu social, le restaurant Ekir à La Chaux-de-Fonds inaugure une nouvelle façon de consommer.

Lieu social, le restaurant Ekir à La Chaux-de-Fonds inaugure une nouvelle façon de consommer.

C’est sans doute le meilleur rapport qualité-prix en ville de La Chaux-de-Fonds. Le restaurant Ekir vous accueille tous les midis du lundi au vendredi dans les anciens locaux de l’Association de défense des chômeurs, rue de la Serre 90, à deux pas de la gare. Le repas complet avec la salade, le dessert et la cruche d’eau posée sur la table ne coûte que sept francs pour les adultes et trois francs pour les enfants. Pour ceux qui souhaitent compléter par un verre de vin ou un café, les boissons sont toutes à un franc. Ekir est un lieu ouvert à tout un chacun, sans exception. Les clients qui se sentiraient gênés par les prix trop bas sont tout à fait libres de verser une contribution supplémentaire au moment de l’addition ou de glisser un petit quelque chose dans la boîte prévue à cet effet. A moins qu’ils ne préfèrent se contenter des soirées de soutien organisées de temps à autre, où le repas est à 20 francs.

Etre comme on est vraiment

Le secret tient en un mot : bénévolat. Certains sont là tous les jours ou presque, d’autres ne viennent qu’occasionnellement : ils sont plusieurs dizaines au total. Il suffit d’avoir « du temps et du cœur », que l’on soit débutant ou cuisinier chevronné. Rentiers AI, bénéficiaires de l’aide sociale, chômeurs ou sans-papiers font la cuisine, le service ou le nettoyage aux côtés de gens plus aisés, sans aucune différence de traitement. Peu importe que tous n’aient pas le même rythme de travail. Tous bénéficient d’un repas gratuit les jours où ils travaillent, mais viennent avant tout chercher le contact humain et le plaisir de donner quelque chose.

Programme d’insertion

Si le rendement n’est pas la préoccupation essentielle d’Ekir, cela n’empêche pas certaines personnes de faire preuve d’une efficacité et d’un sens des responsabilités remarquables, alors qu’elles sont rejetées par le marché de l’emploi, voire même considérées officiellement comme incapables de travailler. Elles expliquent ce paradoxe par l’absence d’obligations, l’absence de hiérarchie et le droit d’aller à leur propre rythme : « Ici, on peut être comme on est vraiment, pas comme dans la vraie vie ». Le plaisir de voir immédiatement le résultat de son travail est également invoqué, par opposition à ces usines où l’on fabrique des composants dont on ne sait même pas à quoi ils vont servir.
Ekir est donc en quelque sorte un programme d’insertion autogéré. Là encore, le rapport qualité-prix est imbattable, car il n’y a pas besoin de salarier le moindre travailleur social, ce qui contribue également à renforcer l’attrait du lieu pour les gens qui ont des problèmes d’insertion. Ici, on n’est pas un « dossier » à traiter, mais simplement un collaborateur dont le travail est reconnu et apprécié et auquel les clients sont redevables.

Avis aux amateurs

Dans cette association sans comité et sans hiérarchie, chacun a son mot à dire à l’assemblée, où entre dix et vingt personnes planifient chaque mercredi soir le travail de la semaine suivante. Le menu hebdomadaire est ensuite largement diffusé, afin que les clients puissent choisir le jour dont le menu les allèche le plus. Le vendredi est le jour des spécialités, qui sont aussi variées que les origines géographiques des cuisiniers.
Les bénévoles d’Ekir ne se contentent pas de faire de la restauration mais cultivent également un jardin, d’où ils tirent une partie de leurs légumes. Les murs de la salle à manger, qui accueillent pour l’instant les toiles de Samuel Müller, sont prêts à s’ouvrir à d’autres artistes. En soirée, Ekir abritait également un cybercafé encore très récemment, mais les locaux se sont finalement révélés inadaptés. Il y a donc de la place pour de nouvelles activités, avis aux amateurs.

Une grande ambition

Pourtant, la survie à long terme d’Ekir n’est pas encore complètement assurée. En effet, si le prix payé par les clients pour le repas couvre l’achat de la nourriture, l’association dépend pour son loyer de soutiens au coup par coup. Les négociations avec les autorités chaux-de-fonnières en vue d’une subvention permanente sont toujours en cours. Paradoxalement, le dossier est plus avancé avec la ville voisine, Le Locle, qui semble disposée à verser quelques milliers de francs par année à un restaurant social qui ne se trouve pourtant pas sur son territoire. Une ouverture d’esprit admirable qui permettra peut-être à Ekir de réaliser une de ses plus grandes ambitions : baisser le prix du repas…